Une personne tétraplégique ne doit pas être mise sous mesure de protection (cass. 1ere civ, 12 juin 2025 pourvoi 24.12.767)
Distinction entre altération corporelle et altération mentale
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 12 juin 2025 un arrêt très important, en matière de mesure de protection judiciaire. Elle a jugé de manière claire et précise d’une personne atteinte d’une altération corporelle, même extrême comme la tétraplégie, ne peut être placée sous curatelle ou tutelle que lorsque ses facultés mentales sont également altérées.
Enfin un arrêt de bon sens conforme en tous points à la loi, mais qui hélas, dans la pratique judicaire n’est pas toujours respecté.
Cette décision concerne essentiellement les personnes atteintes d’un handicap médullaire, et tout particulièrement les personnes tétraplégiques assistées d’un matériel et d’une tierce personne pour exprimer leur volonté, ou pas.
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Le cas d’une personne tétraplégique placée sous curatelle renforcée
En l’espèce, une personne tétraplégique avait sollicité la mainlevée de sa curatelle renforcée.
Le juge du contentieux à la protection statuant en qualité de juge des tutelles avait refusé. Le motif était que celle-ci communiquait qu’avec l’assistance d’un ordinateur, après avoir été au préalable, équipée d’un casque muni d’une tige métallique lui permettant d’écrire sur le clavier.
Pourtant lors de son audition, le juge n'avait constaté aucune altération des facultés mentales.
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Un rappel de la loi : seule l’altération mentale justifie la mesure de protection
La Cour de cassation a cassé cette décision en rappelant que :
"Pour rejeter la demande de mainlevée de la mesure curatelle renforcée concernant Mme (X) et maintenir cette mesure, l’arrêt retient que celle-ci ne présente pas d’altération de ses facultés mentales, ses capacités de raisonnement, de jugement et de compréhension étant efficientes, de même que sa capacité d’anticipation et sa capacité de dire non, mais que l’altération de ses facultés corporelles est de nature à empêcher l’expression de sa volonté, dès lors que cette expression requiert l’installation préalable d’un matériel informatique par une tierce personne. En statuant ainsi, après avoir relevé que dotée, fût-ce par un tiers, d’un matériel adéquat, Mme (X) pouvait exprimer sa volonté, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés. "
En résumé :
- l’assistance technique ou humaine pour pallier un handicap physique ne peut être assimilée à une altération cognitive,
- dès lors que la personne reste en capacité d’exprimer clairement sa volonté, la mesure de protection judiciaire n’a pas lieu d’être.
L’arrêt s’appuie sur les articles 425 et 440 du Code civil :
- L’atteinte des facultés corporelles, même gravissime, ne doit pas conduire à une privation des droits, et être confondue avec l’altération des facultés mentales sous prétexte de l’intervention d’un tiers.
- Seule l’altération des facultés mentales justifie à la mise en place d'une mesure de protection, soit d'une tutelle ou une curatelle,
- Tant que « l’expression de la volonté » subsiste, la mesure de protection ne peut être mise en place par le juge des tutelles.
C’est un arrêt remarquable, d’une légalité et d’une clarté exceptionnelle.
Cela est capital pour le monde judiciaire, mais il l'est aussi pour la reconnaissance des personnes handicapées, en particulier celles atteintes de tétraplégie, pour que soient respectées leur entité, personnalité, leur vie, et qu'elle ne soit pas diminuée injustement par la justice.
Mainlevée de mesures de protection juridique
Il faut aussi saluer un arrêt récent rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 mars 2024, concernant la mainlevée d’une curatelle renforcée à l’encontre d’une personne atteinte d’une cécité totale sans altération des facultés mentales.
Pour autant, dans la pratique judicaire, j’ai eu hélas à connaître des décisions ordonnant une mesure de protection en général de type curatelle, à l’encontre d’une personne tétraplégique même non équipée d’un matériel avec l’assistance d’un tiers pour exprimer sa volonté.
A titre d’exemple, notre cabinet a également obtenu la mainlevée de mesures de protection judiciaire de type curatelle et habilitation familiale dans 3 affaires. Elles concernaient des personnes tétraplégiques :
- 2 qui ne présentaient aucune altération des facultés mentales et qui n’avaient aucun matériel, pas non plus l'aide d’un tiers pour les aider à s’exprimer ;
- 1 qui avait appris à signer avec un stylo dans sa bouche, donc avec l’assistance d’un tiers pour la mise en place du stylo, mais qui n’avait aucune altération de ses facultés cognitives.
Heureusement, nous avons pu obtenir satisfaction et la mainlevée dans ces trois affaires des mesures de protection.
Tous nos procès de victime tétraplégique
Cette jurisprudence va permettre d’éviter des injustices lourdes de conséquences pour les personnes handicapées : elle met fin à cette confusion entre altération corporelle et altération mentale dans l’expression de la volonté vient de la méconnaissance du monde du handicap.
C'est aussi notre mode de société dans laquelle les personnes sont de plus en plus assistées, souvent contre leur propre volonté et pour se couvrir au niveau des responsabilités.
Il est inadmissible, sous couvert d’une mesure de protection judiciaire, de diminuer une personne atteinte de difficultés corporelles et de lui retirer en plus sa liberté de penser et d'agir, alors que ses facultés mentales ne sont pas altérées.
En résumé : la mainlevée de la curatelle doit être accordée dès lors que la volonté peut être exprimée, même avec assistance technique ou humaine.
L’arrêt du 12 juin 2025 de la Cour de cassation est un signal fort : la mesure de protection judiciaire doit rester une exception strictement encadrée par la loi et ne saurait être appliquée du seul fait d’une tétraplégie.
Bravo à la Première Chambre Civile de la Cour de cassation.
Société Meimon Nisenbaum Avocats
Juillet 2025