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Le préjudice d'agrément


Soumis à des fluctuations jurisprudentielles depuis une vingtaine d'années, ce poste de préjudice reste inféodé au pouvoir souverain d'appréciation du juge. Analyse.

Le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est un préjudice dont l'indemnisation n'est pas facile à obtenir en raison de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui, depuis 2009, le définit de manière très stricte. Les tribunaux se montrent donc de plus en plus réticents à accorder une indemnisation de ce poste de préjudice sans justificatif bien établi. Par ailleurs, la jurisprudence retient une conception bien différente en droit commun et en matière d'accident du travail et faute inexcusable.

Le préjudice d'agrément en droit commun

Sa définition a fait l'objet d'une longue évolution jurisprudentielle. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un préjudice bien spécifique qui est distinct du préjudice sexuel et du déficit fonctionnel. Avant 2003, la Cour de Cassation le définissait comme "la privation des agréments normaux de l'existence" (Chambre criminelle 26 mai 1992) ou la "privation des agréments d'une vie normale". La Cour adhérait donc à une conception extrêmement large et objective du préjudice autorisant sa reconnaissance au profit de toutes les victimes et pas seulement celles qui se livraient avant l'accident à des activités spécifiques auxquelles elles ont dû renoncer.

Toutefois, un arrêt d'Assemblée Plénière rendu le 19 décembre 2003 a modifié la définition ainsi : "Préjudice subjectif à caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence". Le terme subjectif portant à discussion, des arrêts postérieurs ont clarifié la situation. Tout d'abord, deux arrêts rendus en matière d'accident du travail et faute inexcusable de l'employeur ont jugé qu'il s'agissait "d'un préjudice subjectif à caractère personnel, distinct de celui résultant de son incapacité" (Chambre civile 19 avril 2005 et 11 octobre 2005).

Le Fonds de garantie essaya alors de faire reconnaitre que ce préjudice à caractère personnel devait être soumis au recours des tiers payeurs car il correspondait, selon lui, à une atteinte objective à l'intégrité physique de la victime. La Cour de Cassation rejeta le pourvoi du fonds de garantie et estima : "que la somme allouée au titre du préjudice d'agrément pendant la période d'ITT indemnisait les seuls troubles de caractère subjectif" (Chambre civile 5 octobre 2006). A cette occasion, la Cour de Cassation a donc jugé qu'il s'agissait d'une indemnité de caractère personnel non soumise au recours des tiers payeurs et a reconnu également la possibilité de retenir un préjudice d'agrément temporaire pendant la période d'Incapacité Totale de Travail.

Toutefois, cette vision large du préjudice d'agrément a été remise en cause par la suite. En effet, cette définition ne correspondait pas à la définition retenue par les commissions ou groupes de travail (notamment le rapport Dintilhac) qui n'envisagent la réparation du préjudice spécifique d'agrément que sous l'angle de la privation d'activités sportives et de loisirs. Au surplus, la réforme de 2006 sur l'imputation, poste par poste, des recours des tiers payeurs, ne permettait plus aucun recours sur les indemnités allouées au titre du déficit fonctionnel qui englobe la définition large du préjudice d'agrément. C'est donc cette dernière définition étroite et défavorable aux victimes qui a été retenue par la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 28 mai 2009 : "Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d'agrément spécifique lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs".

De la même manière, la possibilité de retenir un préjudice d'agrément temporaire n'existe plus, celle-ci étant incluse dans le déficit fonctionnel temporaire, ce qui confirme bien la tendance à limiter de plus en plus ce préjudice. Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a retenu que ce préjudice constitué pour la victime de l'impossibilité de pratiquer le ski et la musique avant la consolidation relève du déficit fonctionnel temporaire (Chambre civile 5 mars 2015). En effet, s'il est bien distinct du DFP (déficit fonctionnel permanent), le préjudice d'agrément demeure inclus dans le DFT (déficit fonctionnel temporaire) qui indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique : il inclut la période d'hospitalisation et la perte de la qualité de vie, ceci comprenant le préjudice sexuel et le préjudice d'agrément temporaire.

Cette conception étroite du préjudice d'agrément réduite aux seules activités sportives et de loisirs impose désormais aux victimes de prouver leur préjudice de façon très détaillée et de prouver qu'elles exerçaient leurs activités sportives de manière régulière avant l'accident. A défaut de rapporter une telle preuve, elles risquent fortement d'être déboutées de leur demande à ce titre. Toutefois, cela est compensé en partie par une vision très large du déficit fonctionnel permanent qui est mieux indemnisé. Comme nous l'avons vu, la définition du préjudice d'agrément n'est pas vraiment figée et il est possible qu'on revienne d'ici quelque temps à une conception large de ce préjudice comme celle retenue avant 2003. Un projet de décret propose un retour à une vision large en retenant "la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence que la victime rencontre au quotidien".

Le préjudice d'agrément en accident du travail

Deux arrêts rendus par la 2e chambre civile de la Cour de Cassation le 8 avril 2010 reviennent à une conception objective du préjudice d'agrément : "Au sens de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale le préjudice d'agrément est celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d'existence." La Cour de Cassation retient donc pour les accidents du travail une vision large du préjudice d'agrément, contraire à la vision de la nomenclature Dintilhac. Toutefois, cette définition ne vaut que pour les accidents du travail au sens de l'article L 452-3 du code de la Sécurité Sociale. Ces arrêts posent un problème car on a une dualité de conception que l'on se trouve ou non en accident du travail, et cela crée donc une différence de traitement entre les victimes d'un même dommage.

Le montant des indemnités est très variable, il dépend d'une part, de la fréquence et de l'importance des activités, des lésions, de l'âge de la victime. D'autre part, le tout est soumis au pouvoir souverain du juge du fond, si bien qu'il n'existe finalement aucune règle en la matière.

Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, mai 2016.

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