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Valerie Di Chiappari (Journaliste) "LES DOULEURS FANTOMES N'ONT RIEN D'IMAGINAIRE" (Faire Face N°664 - MAI 2008)


90 % des patients récemment amputés affirment ressentir des douleurs dans leur membre disparu. Si l'origine de ces douleurs dites "fantômes" n'est pas encore clairement établie, divers traitements existent pour tenter de les soulager.

Sensations de brûlure ? Picotements ? Impression d'un membre pris dans un étau alors que ce même membre n'existe plus ? Les douleurs fantômes sont bien réelles même si, comme leur nom l'indique, elles affectent une partie du corps disparue. « Ces douleurs sont souvent perçues dans la partie distale du membre amputé, par exemple dans la main si le membre supérieur est manquant », explique le docteur Pascal Giraux, maître de conférence et praticien hospitalier au sein du service de Médecine physique et réadaptation du CHU de Saint-Étienne (Haute-Loire).

Si ces douleurs sont fréquentes juste après l'amputation puisqu'elles concernent neuf personnes sur dix, ce chiffre tombe à une personne sur quatre, un an après l'amputation et diminue avec le temps. Mais une constante demeure : ces douleurs ne sont pas définitivement établies et elles peuvent disparaître puis revenir, sans que l'on sache exactement pourquoi. Autre constat : une recrudescence du phénomène douloureux lorsque les patients ne vont pas bien psychologiquement ou s'ils souffrent d'un traumatisme au niveau du moignon, comme une plaie ou une mauvaise adaptation de leur prothèse. Mais attention, il ne faut pas confondre douleurs fantômes et douleurs du moignon, ces dernières pouvant être liées à des lésions cutanées à cause d'un mauvais positionnement de la prothèse ou à des troubles vasculaires artériels ou veineux. 

UNE ORIGINE ENCORE HYPOTHETIQUE

Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer les douleurs fantômes. « Initialement, on pensait qu'elles étaient dues à des névromes, c'est-à-dire de mauvaises repousses des terminaisons nerveuses amputées, souligne le docteur Pascal Giraux. Puis les recherches se sont intéressées à ce qui se passait au niveau de la moelle des patients. On a alors associé ces douleurs à une mauvaise intégration des signaux douloureux qui pouvaient toujours être perçus après l'amputation. Aujourd'hui, les hypothèses dominantes ont tendance à remonter de plus en plus haut dans le système nerveux. Les patients souffrant de douleurs fantômes présentent ainsi une réorganisation des cartes sensitives au niveau cortical, ou dans les centres où les informations sensitives font relais au centre du cerveau. Cette réorganisation peut se comprendre comme une désorganisation et, finalement, être responsable de perceptions douloureuses sans qu'il y ait de réelles stimulations douloureuses. Les douleurs fantômes seraient donc un exemple de mauvaise plasticité cérébrale et médullaire. » Une dernière hypothèse qui reste cependant à confirmer.

 

DU PREVENTIF AU CURATIF

Autre donnée importante : l'intensité des douleurs préopératoires dans le membre à amputer conditionne l'incidence et l'importance des douleurs dans le membre fantôme. « Dans les traumatismes de guerre par exemple, lorsque le membre est violemment arraché, les personnes ressentent très fréquemment des douleurs fantômes.  Chez nous, où les amputations sont principalement liées à des problèmes vasculaires, on a établi un lien de cause à effet entre la douleur ressentie lors de l'amputation et le ressenti ensuite de la douleur fantôme. » C'est pourquoi, avant même l'opération, les patients bénéficient d'un traitement d'anesthésie du membre à amputer le plus précoce possible, à titre préventif.

Malgré tout, le suivi et le traitement des patients souffrant de telles douleurs concernent peu d'entre eux et, dans bien des cas, selon le docteur Pascal Giraux, les douleurs de membres fantômes sont sous-estimées. Pourtant, des thérapeutiques curatives existent, mises en place notamment dans les centres antidouleur (voir encadré). « Les patients peuvent bénéficier de nouveaux traitements médicamenteux qui n'étaient pas à leur disposition il y a encore une dizaine d'années, comme ceux utilisés pour les personnes épileptiques et qui marchent bien dans le traitement de ce type de douleurs. » Autres voies de traitement possibles : des antalgiques, certains psychotropes, des infiltrations, voire de la stimulation électrique. Dans tous les cas, il est donc vivement conseillé d'aller consulter dans le centre le plus proche de son domicile. 

La rééducation peut également constituer un moyen moins invasif de soulager les patients. En 2003, suite à des recherches menées par le docteur Pascal Giraux au CHU de Saint-Étienne et la chercheuse Angela Sirigu, responsable de l'équipe de neurochirurgie à l'Institut des sciences cognitives de Lyon (Rhône) -CNRS, université de Lyon 1, une nouvelle technique a ainsi vu le jour. Le principe ? Présenter au patient, par l'intermédiaire d'un système vidéo, son membre en mouvement, tel qu'il devrait être s'il existait toujours. Cette image virtuelle du membre absent est obtenue techniquement grâce à un jeu de symétrie utilisant le membre sain. « Nous avons constaté que lorsque les patients peuvent voir et disposer du contrôle moteur du membre disparu, cela diminue de manière significative le phénomène des douleurs fantômes. Ainsi, pour 50 % d'entre eux, l'intensité de la douleur ressentie baisse en moyenne de deux points sur une échelle de la douleur graduée de 0 à 10. » La rééducation, qui peut être entreprise de manière précoce ou plus tardive, consiste alors à évoquer des mouvements dans le membre disparu, redevenu présent sur un écran d'ordinateur. Mais si elle donne de bons résultats, cette technique reste peu développée en France puisque aujourd'hui, seul le CHU de Saint-Étienne dispose du matériel nécessaire.

 

Valérie Di Chiappari

 

 

 

Encadré :

Consulter dans un centre antidouleur

Les centres antidouleur, environ une centaine en France, répartis dans les principaux centres hospitaliers universitaires (CHU) ont à la fois pour mission d'évaluer et de traiter des patients souffrant de douleur chronique mais aussi de faire de la recherche et de diffuser les nouvelles connaissances sur la douleur. Ils accueillent, sur demande médicale établie par le médecin traitant, les malades souffrant de douleurs persistantes, rebelles aux traitements habituels. Ils sont alors pris en charge par des équipes pluridisciplinaires (neurologues, neurochirurgiens, anesthésistes, rhumatologues, psychologues, psychiatres, infirmières, kinésithérapeutes, assistantes sociales...). Pour connaître le centre antidouleur le plus proche de chez vous : http://chu-mondor.aphp.fr/

 

 

 

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