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Laurent LEJARD (Journaliste) "LES BARRIERES TOMBENT ..." (Faire Face N°663 AVRIL 2008)


LES BARRIERES TOMBENT ... Malgré une législation qui a étendu l'obligation d'emploi à toutes les professions salariées, et la réglementation en matière d'aptitude médicale, des métiers demeurent interdits ou difficiles d'accès aux travailleurs handicapés. Néanmoins, certains ont contourné l'obstacle...

La théorie : aucune profession n'est interdite à des personnes en situation de handicap. C'est ce qu'impose la loi du 11 février 2005. La pratique est plus nuancée, en dépit de réels progrès.

 

Dans le secteur privé, la précédente loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi avait créé une liste de métiers nécessitant des conditions d'aptitudes particulières et pour lesquels les employés dérogeaient aux quotas d'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Sur cette liste figuraient notamment dockers, marins pêcheurs, pompiers ou conducteurs de véhicules grand routier. Pourtant, cela n'a pas empêché quelques conducteurs de poursuivre leur activité après la survenue d'un handicap, en se battant contre l'Administration pour obtenir un permis poids lourds aménagé et l'homologation de l'équipement d'un tracteur. Un jeune polio préparait, l'hiver dernier, à Aurillac (Cantal) son permis transport en commun[1] : s'il l'obtient, il sera probablement le seul conducteur handicapé moteur à conduire des autobus en France, le réseau local, Stabus, devant l'employer.

 

UNE INTEGRITE PGYSIQUE PARFOIS REQUISE

 

 Mais au-delà de quelques exceptions, certains métiers demeurent pratiquement impossibles à exercer dès lors qu'un travailleur ne dispose pas de l'intégrité de ses moyens physiques. D'ailleurs, la législation subordonne l'embauche et le maintien dans l'emploi après la survenue d'un handicap à l'avis, qui s'impose à l'employeur, de la médecine du travail (lire en encadré). Moment crucial en particulier lorsque le métier nécessite des aptitudes physiques notoires.

 

Exemple, le métier de pompier : "L'intégrité physique est requise pour les interventions, explique Patrice Beunard, président du Syndicat National des Sapeurs Pompiers Professionnels, mais il existe également un vaste panel d'emplois accessibles à des personnes handicapées : centre d'appel (le 18), fonctions administratives et techniques spécialisées, prévention et formation au secourisme, commissions de sécurité. La très grande majorité des pompiers devenus invalides sont reclassés dans ces activités, ils conservent le statut de pompier". La solidarité des hommes a fait que le reclassement des pompiers inaptes en opération a été privilégié, par humanisme et également pour ne pas se priver de leur expérience. Les personnes handicapées peuvent postuler aux fonctions autres que l'intervention sur sinistre, en ayant le statut (et la fierté) d'être pompier.

 

PROJET PROFESSIONNEL ET MOYENS DE COMPENSATION

 

Mieux : il arrive qu'à l'étranger, où une autre approche du handicap peut générer des effets étonnants, par exemple en matière de police. Peut-être plus surprenant encore, c'est principalement la police qui en fournit nombres d'exemples. C'est ainsi que la Belgique a intégré des aveugles au sein d'un service de renseignement antiterroriste, exploitant les capacités particulières que ces déficients visuels ont su développer dans l'analyse des voix et la connaissance de langues étrangères. La police d'Alger maintient en service 180 agents devenus handicapés dans le cadre de leurs missions ou du fait d'attentats. Quelques communes italiennes chargent des personnes paraplégiques d'inspecter le stationnement réservé et de verbaliser les véhicules contrevenants. En Afrique du Sud, des poliomyélitiques et des paraplégiques ont été recrutés pour régler la circulation de carrefours routiers. Depuis 2006, la République Tchèque recrute des travailleurs handicapés en tant qu'agents sédentaires dans les postes de police, pour décharger les autres policiers de l'accueil du public afin qu'ils assurent davantage de missions de terrain.

 

Mais la volonté d'ouvrir toutes les professions soulève des questions : "Une personne handicapée ne peut être mise en danger en exerçant un métier qui présente des risques pour elle, et son activité ne doit pas constituer un risque pour les autres, estime Pascal Michel, Directeur de Cap Emploi Calvados. Aujourd'hui, il faut plutôt parler de projet professionnel et de moyens de compensation à déployer. Est-ce qu'une personne handicapée peut être conducteur de grue ? Pourquoi pas, cela dépend des engins et de leur adaptation". Pascal Michel évoque l'insertion professionnelle d'un jeune homme paralysé, sourd et aveugle, recruté dans la direction de l'économie du Conseil Régional de Basse-Normandie : "Il dispose d'aides techniques, humaines et de soins sur le lieu de travail. Il a fallu adapter le site, la sécurité incendie, sensibiliser ses collègues de travail, définir une progression de carrière. Et il faudra assurer un suivi régulier, pour mesurer si l'environnement humain ne se fatigue pas. Ce travailleur et ses collègues ont besoin d'avoir une ressource en appui ; parce qu'il est nécessaire d'éviter que l'on oppose en cas de difficulté le lourd handicap de la personne, alors que le problème viendrait de l'environnement".

Car au-delà de sa réglementation, le travail est une activité gérée par des hommes qui ne déposent pas leur sensibilité à la porte de l'entreprise. C'est la relation entre des êtres humains, avec toute la complexité de leurs aspirations et philosophies personnelles, qui ouvre à des personnes handicapées les portes de professions naguère interdites, et dont quelques-unes racontent leur aventure dans ce dossier.

 

[Encadré]

Inaptitude ne vaut pas interdiction

La réglementation définit les conditions médicales à remplir pour occuper un emploi. Pour le secteur privé, l'article R241-48 du Code du Travail dispose que tout salarié fait l'objet d'un examen d'embauche au plus tard avant l'expiration de la période d'essai. Cet examen vise à "rechercher si le salarié n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour les autres travailleurs [...] s'assurer qu'il est médicalement apte au poste de travail [...] proposer éventuellement les adaptations du poste ou l'affectation à d'autres postes". Les travailleurs handicapés doivent subir cet examen avant leur embauche, disposition largement méconnue et très rarement appliquée alors qu'elle est indispensable pour adapter le poste de travail. L'inaptitude ne peut être constatée que par le médecin du travail, selon une procédure définie par l'article R241-51-1 du même code, et l'employeur est tenu de "proposer un autre emploi approprié [...] compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié" (Art. L122-24-4). L'employeur ne peut licencier un salarié devenu inapte à son emploi qu'en cas d'impossibilité de reclassement et en respectant une procédure stricte sous peine de voir ledit licenciement être lourdement sanctionné par la Justice. Dans le secteur public, la réglementation est comparable.

 

Laurent Lejard



[1] Quotidien La Montagne du 23 janvier 2008

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