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Laurent LEJARD (Journaliste) "LE ROI DES ENTRAINEURS" (Faire Face N°663 AVRIL 2008)


LE ROI DES ENTRAINEURS Après l'accident sportif qui l'a rendu tétraplégique, la volonté sans faille de Didier Roy , gymnaste, et sa force de conviction lui ont permis de retrouver le chemin des gymnases en devenant entraîneur.

Il est difficile d'évoquer Didier Roy sans superlatifs, tant son parcours de vie est exceptionnel. Enfant maltraité, plusieurs fois abandonné par sa mère, contraint à voler pour manger, il aurait pu, durant sa jeunesse, verser dans la délinquance, la drogue, le désoeuvrement. La galère dans les banlieues, il l'a connue, mais il est resté un homme droit et honnête grâce au sport : rencontrer Didier Roy, parler avec lui, voir comment il entraîne enfants et adolescents témoigne plus que de longs discours sur les vertus du sport.

 

Il est probablement l'unique entraîneur professionnel de gymnastique tétraplégique en France. Il forme des jeunes filles à la poutre, au sol, aux barres asymétriques, au saut, etc. "Je préfère entraîner les filles, explique-t-il, elles sont plus sérieuses que les garçons, et pas bagarreuses ! Je n'encadre que les enfants qui ont au moins une année de gymnastique. Elles ont déjà acquis de la motricité, de la technique : je leur fais découvrir les différentes parties de leur corps, leur demande de prendre des postures, effectue un travail de correction uniquement par la parole". Didier Roy ne peut en effet agir directement : "L'absence de contact est très difficile pour moi. Mais je vois plus facilement les petits défauts en étant éloigné des gymnastes".

 

LES ENFANTS « ONT SIMPLEMENT RETROUVE DIDIER »

 

C'est par la voix qu'il explique à ses élèves comment corriger leurs gestes, ce qui les oblige à travailler par elles-mêmes, avec un avantage particulier : l'acquisition de la bonne posture découle de l'appropriation de son corps par la gymnaste. "Parfois, je reçois l'aide d'un collègue pour certains gestes, pour parer une gymnaste qui effectue un salto sur poutre par exemple. Je forme également des jeunes gymnastes à entraîner les autres, et elles m'aident durant les cours".

 

Didier Roy a été encouragé à reprendre son métier d'entraîneur lorsqu'il a retrouvé "ses enfants" après son accident survenu en 1987 : "Ils n'ont pas vu le fauteuil roulant, ils ont simplement retrouvé Didier". Plusieurs clubs ont néanmoins refusé ne serait-ce que de l'entendre lorsqu'ils ont vu le fauteuil roulant, jusqu'à ce qu'il rencontre à Antony (Hauts-de-Seine), en 1991, des dirigeants qui lui ont donné sa chance. "Ça a été un challenge, se rappelle Claude Bureau, président d'ALCEA[1]. À ses débuts, il n'avait pas de fauteuil roulant électrique, il fallait aider Didier. Et convaincre tout le monde que ça se passerait bien. Je n'avais pas d'appréhension, il n'y avait pas de raison qu'il ne puisse entraîner. On s'est toujours parlé normalement, sans évoquer le handicap, on le prend en compte sans s'apitoyer. Et on a des résultats, Didier a fait ses preuves". Il a formé cinq entraîneurs et est à l'origine des meilleures performances récentes du club : quatre titres nationaux, une participation en championnat d'Europe, et une championne de France en 2002.

 

RUDES BATAILLES REMPORTEES

 

Sa bataille la plus rude, Didier Roy l'a menée contre le médecin du travail : pour lui, un pensionné d'invalidité 3e catégorie n'avait pas le droit de travailler. "Je lui ai expliqué que j'exerçais déjà dans un club, comme entraîneur bénévole, que c'était un apport énorme pour moi. Le premier médecin a refusé, le second a dit oui. Tous les ans, je dois fournir un certificat de non risque d'enseignement". Il lui a également fallu se battre pour obtenir de passer le Brevet d'État : "Je ne pouvais plus pratiquer la discipline, le jury a considéré mon acquis de gymnaste avant la tétraplégie".

 

Didier Roy a un rapport très doux avec ses jeunes gymnastes, âgées de 9 à 18 ans. L'une d'elles, Laetitia, ne ressent pas de différence avec les autres entraîneurs, et ne s'est pas posé de question en voyant le fauteuil roulant de Didier. "Il est gentil, explique Ionela, d'origine roumaine et qui a connu des entraîneurs violents avant d'arriver en France. C'est un bon entraîneur. Il nous fait plus travailler que d'autres : avec Didier, on ne reste pas assis, il nous fait bouger". "C'est bien même s'il est handicapé, précise Chloé, il sait nous expliquer. Son handicap ne m'a pas dérangé, on a été un peu surpris au début. Mes parents ont dit que ça changeait des autres entraîneurs, et qu'il était intelligent". Audrey est élogieuse : "Il explique bien, c'est très fort ce qu'il fait, magique, et nous entraîne très bien, nous encourage. Mes parents avaient confiance, et je suis très contente : pour notre première compétition, on a fini à la deuxième place".

 

Face à ce concert de louanges, Didier Roy raconte :"Quand j'accueille des nouveaux élèves, je leur explique ce qui m'est arrivé et ce qu'il faut faire pour l'éviter; c'est un travail facile avec les enfants, dur avec les parents. Maintenant, la complicité avec les enfants faits que leurs parents ont confiance pour que l'on travaille ensemble". Les réticences de ses débuts en 1991 ont disparu : "Tous les parents n'étaient pas d'accord, la moitié ont refusé, j'ai laissé les enfants choisir. Quand en 1993 le club a obtenu un titre de champion de France par équipes en Nationale 2, les parents réticents m'ont demandé de reprendre leurs enfants. Les parents voient les résultats, ils se parlent, ils évoquent la méthode de travail".

 

Mais s'il est heureux d'entraîner, et que sa compétence soit récompensée par des résultats, son quotidien est difficile : tous ses revenus passent dans son logement, ses aides humaines et une assurance automobile très coûteuse du fait des aménagements du véhicule qu'il conduit. Il redoute un placement en foyer logement avec horaires stricts et l'impossibilité de poursuivre son travail. Lui qui a fait le choix de vivre au service des autres aimerait que notre société lui rende le seul service qu'il lui demande : disposer des ressources nécessaires pour continuer à entraîner avec la passion qui l'anime des enfants auxquels il prouve tous les jours "qu'on n'a pas besoin de brûler des voitures pour montrer qu'on existe"...

 

[Zoom]

Didier Roy se raconte dans "Ne me parlez plus de courage" qui vient d'être réédité par ABM Editions, 15€, chez l'éditeur (http://www.abm-editions.com/) et en librairies sur demande.

 

[Encadré]

Des profs de sport handicapés ?

 

"Quand on examine la législation, notamment depuis la loi du 11 février 2005, le handicap ne peut être un obstacle à un examen ou un concours, rappelle Jean Pierre Garel, professeur agrégé d'Éducation Physique et Sportive et spécialiste de l'enseignement physique adapté. Pour devenir enseignant, j'ai proposé que les candidats handicapés soient évalués sur des critères adaptés, d'ailleurs on note déjà les hommes et les femmes sur des critères différents. Je ne connais qu'un seul professeur d'EPS devenu paraplégique, Pierre Fusade[2], qui a continué à enseigner dans un établissement adapté, l'EREA Jean Monnet de Garches (Hauts-de-Seine). Par contre, je ne connais pas d'exemple de personnes handicapées admises à passer le concours de professeur d'EPS. Ça pose problème, c'est une discrimination. Une dizaine de jeunes handicapés suivent les cours de l'UFR STAPS[3] de Montpellier, ils n'auront accès qu'à la profession d'éducateur sportif, hors du cadre de l'Éducation Nationale".

 

Laurent Lejard


[1] Association Loisirs Culturels et Educatifs d'Antony alceaantony.free.fr

[2] Tennisman et directeur technique fédéral du tennis handisport

[3] Cycle universitaire en Sciences et techniques des activités physiques et sportives

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