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Denis POIZAT ( Maître de conférence Université Lumière Lyon) Repères sur l’inclusion : Monde, Europe, France (Reliance-Editions ERES N° 22 Décembre 2006)


Repères sur l’inclusion : Monde, Europe, France.

Denis Poizat, Maître de conférence, Université Lumière Lyon2.

En 1960, le Bureau International de l'Éducation publiait les résultats d'une étude comparative de grande ampleur, consacrée à «l'organisation de l'enseignement spécial pour débiles mentaux». Centrée sur le problème spécifique de la débilité mentale, elle faisait suite à une première synthèse réalisée en 1936, présentant les résultats d'une enquête portant à la fois sur l'enseignement destiné aux enfants déficients mentaux et sur les écoles pour « handicapés physiques ».
On ne parlait pas, alors, de situations de handicap.
L'arriération, l'invalidité, le retard, l'inadaptation, l'incapacité, la déficience, le désavantage, les handicapés... ce vocabulaire défectologique auquel a correspondu une large série d'actions: étiqueter, assister, interner, réadapter, rééduquer... n'a, en théorie, plus cours en éducation. Il est pourtant au fondement d'une longue histoire éducative que les rares historiens francophones du handicap déchiffrent peu à peu. De nouveaux paradigmes ont infléchi la révision de la Classification Internationale des Handicaps, déficiences, incapacités et désavantages4 (CIH), elle-même fondée sur la classification du handicap de Philippe Wood. I!s sont maintenant validés au niveau international. La Classification Internationale du Fonctionnement et de la santé (CIF) a ainsi permis de ressaisir le sens et la portée du terme handicap:
«L'état de fonctionnement et de handicap d'une personne est le résultat de l'interaction dynamique entre son état de santé (maladies, troubles, lésions, traumatismes...) et les facteurs contextuels».
C'est le signe du déplacement d'une conception du handicap centrée sur l'individu vers une analyse des interactions de la personne avec le monde qui l'entoure. Elles peuvent parfois générer, mais aussi amoindrir, voire éviter des situations de handicap. C'est donc autant !'organisation éducative que l'individu en situation de handicap que visent aujourd'hui les analyses relatives à l'inclusion, elles sont marquées par cette conception renouvelée du handicap.
Au niveau comparatif, la décennie 90 a été décisive dans ce tournant en rappelant la nécessité d'établir un système d'information international relatif à l'intégration scolaire. En 1994, la Déclaration de Salamanca, suite à l'insuffisante préoccupation de la Conférence Internationale de Jomtien dans ce domaine, rappelait un leitmotiv simple et ambitieux; tout enfant, quel que soit son handicap, doit pouvoir être intégré au sein des systèmes scolaires sans générer de cloisonnement ou de système parallèle.
Dans !e même temps, les organisations internationales ont conduit des analyses comparatives spécifiquement dédiées à l'intégration scolaire. L'Organisation de Coopération pour le Développement Économiques (OCDE) a consacré plusieurs études depuis le début de la décennie 90. En établissant un recueil international d'informations, l'OCDE a apporté des enseignements précieux dans un domaine presque vierge. Ses analyses rendent compte de différents niveaux: le niveau de décision ayant trait à la législation et aux politiques gouvernementales, celui des stratégies décrivant l'interprétation des politiques par les responsables des systèmes éducatifs, le niveau opérationnel centré sur !a gestion des opérations de terrain, enfin, le niveau opérationnel de terrain s'attachant aux prestations offertes à la clientèle scolaire par les professionnels. Les grands absents de ces études restent les pays d'Afrique, d'Asie du sud-est, d'Europe centrale... Des raisons statutaires, mais également techniques peuvent expliquer cette carence.
D'abord, tous les États ne sont pas membres de l'OCDE. Ensuite, les systèmes d'information disponibles rendent souvent impossible toute tentative d'analyse comparative dans les pays à faibles revenus qui ne disposent pas des relevés d'information adéquats. L'estimation - discutée - de l'OMS selon laquelle au moins 10 % de la population mondiale est considérée en situation de handicap est malheureusement souvent le seul indicateur de prévalence du handicap. On est encore loin de l'établissement d'un système de surveillance fiable, au sens épidémiologique du terme, a fortiori fondé sur le handicap conçu en grande partie comme résultant d'une interaction.
C'est au tour du Groupe Banque Mondiale aujourd'hui, dans le cadre de son programme international de lutte contre la pauvreté, de s'intéresser aux populations marginalisées parmi lesquelles figurent les personnes en situation de handicap. À ce jour, les travaux sont encore trop rares et sont destinés essentiellement aux facteurs d'insertion socio-économique des personnes marginalisées par le handicap. Les systèmes scolaires y sont encore trop indirectement visés.
On ne peut omettre les importants travaux conduits par l'Union Européenne qui publie régulièrement les indicateurs de suivi dans les pays de l'Union. Outre la base de données Eurydice largement pourvue, régulièrement remise à jour, l'Union développe une série d'analyses utiles. Bien conduites, elles montrent la nécessité de mettre en place des systèmes d'information cohérents entre les Etats, pourvus d'indicateurs stabilisés et durables de manière à établir des comparaisons temporelles utiles à la mesure des progrès accomplis dans le chemin vers l'équité et l'efficacité des systèmes.
Ma!gré une relative unanimité des organisations internationales autour de la définition de l'inclusion scolaire, pensée comme la mise en oeuvre d'un service intégré scolaire, sanitaire et social, les difficultés à établir des comparaisons internationales subsistent. Ainsi, parmi les 39 articles que compte la Résolution «Pour une Europe sans entraves pour les personnes handicapées», adoptée par le Parlement européen en avril 2001, l'article 11 demande à la Commission et aux États membres d'améliorer les statistiques sur les différents types de handicap. Si nous observons aujourd'hui les réels progrès dans l'analyse macro-comparative, il reste que les pourcentages exprimés sur les élèves ayant des besoins éducatifs spécifiques (0,9 % pour !a Grèce pour le plus faible contre un maximum de 17,8 % observé en Finlande) doivent être pris avec la plus grande prudence.
Avec un relevé honnête d'information, de nombreuses questions restent en suspens traduisant une difficulté réelle; les conceptions parfois divergentes de l'inclusion scolaire observées au sein des États reflètent les tiraillements entre full inclusion (sans système parallèle) et intégration scolaire partielle ou totale. Elles soulignent la difficulté à établir un champ délimité à la question de l'inclusion. En effet, l'inclusion scolaire désigne-t-elle uniquement les enfants en situation de handicap (catégorie en elle-même subdivisée selon les pays d'après une étude conduite par l'OCDE entre deux et dix sept sous-catégories). Désigne-t-elle également les enfants migrants ? Englobe-t-elle les enfants en situation d'échec scolaire, les adolescents en rupture de ban... ?
C'est en tout cas une conception extrêmement large de l'inclusion dont l'UNESCO s'est faite l'ardente promotrice depuis 1980. L'agence des Nations Unies recueille les informations dans ce domaine au niveau mondial. Elle a par ailleurs établi en 1991 et 1996 deux relevés internationaux des dispositions législatives ainsi que leur niveau au sein de la hiérarchie des normes nationales (Constitution, lois, décrets, règlements par exemple) et propose les moyens intellectuels de collaboration avec les États dans la mise sur pied et l'application de politiques inclusives. Rien moins que deux séminaires sous régionaux se tenaient au printemps 2003, au Royaume du Maroc et en République de Moldavie, d’autres ont été organisés depuis au sein des Etats arabes et en Asie du sud est .
On ne saurait oublier dans cette énumération le rôle joué par les associations nationales et internationales dans la mise en oeuvre de solutions intégratrices novatrices au sein de contextes troublés. Le principe du lobbying, initié en Angleterre aux portes de la Chambre des Lords, consistant à guetter dans l'antichambre du pouvoir les décideurs politiques susceptibles d'apporter une réponse législative à certains problèmes, a ébranlé certaines certitudes institutionnelles sur le handicap. Il reste que, en dépit des efforts consentis depuis plusieurs décennies, les politiques publiques en faveur de l'inclusion scolaire semblent être les seuls moyens d'améliorer massivement l'offre éducative.

La prise en charge éducative des élèves ayant des besoins spécifiques :

la situation en Europe.

 Source : Agence Européenne et réseau Eurydice.

 

Nombre d’enfants en âge d’aller à l’école obligatoire

Elèves ayant des besoins éducatifs particuliers

Elèves éduqués dans un dispositif séparé

Année de référence

Allemagne

Autriche

Belgique (DE)

Belgique (F)

Belgique (NL)

Danemark

Espagne

Estonie

Finlande

France

Grèce

Hongrie

Irlande

Islande

Italie

Lettonie

Liechtenstein

Lituanie

Luxembourg

Norvège

Pays-Bas

Pologne

Portugal

Rép. Thèque

Royaume-Uni

Slovaquie

Slovénie

Suède

Suisse

9 159 068

848 126

9 427

680 360

822 666

670 000

4 541 489

205 367

583 946

9 709 000

1 439 411

1 191 750

575 559

42 320

8 867 824

294 607

3 813

583 858

57 295

601 826

2 200 000

4 410 516

1 365 830

1 146 607

9 994 159

762 111

189 342

1 082 735

807 101

5,3%

3,2%

2,7%

4,0%

5,0%

11,9%

3,7%

12,5%

17,8%

3,1%

0,9%

4,1%

4,2%

15,0%

1,5%

3,7%

2 ;3%

9,4%

2,6%

5,6%

2,1%

3,5%

5,8%

9,8%

3,2%

4,0%

4,7%

2,0%

6,0%

4,6%

1,6%

2,3%

4,0%

4,9%

1,5%

0,4%

3,4%

3,7%

2,6%

0,5%

3,7%

1,2%

0,9%

0,5%

3,6%

1,8%

1,1%

1,0%

0,5%

1,8%

2,0%

0,5%

5,0%

1,1%

3,4%

     (.)

1,3%

6,0%

         2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         1999/2000

         2000/2001

                  1999

1999/2000/2001

         1999/2000

         1999/2000

         1999/2000

         2000/2001

                  2001

         2000/2000

         2001/2002

         2001/2002

         2001/2002

                  2001

1999/2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         2000/2001

         1999/2000

         2001/2002

                  2000

                  2001

         1999/2000

 

 

La Commission européenne, dans son rapport intitulé « Chiffres clés de l’éducation en Europe », indique qu’il n’y a « pas de tendance nette dans l'évolution de la scolarisation séparée des enfants à besoins éducatifs particuliers ». Dans tous les pays européens, l'offre d'enseignement pour les élèves à besoins éducatifs particuliers est tantôt organisée séparément au sein d'établissements ou de classes spécialisés, tantôt intégrée dans les établissements scolaires ordinaires. Les élèves reconnus comme ayant des besoins éducatifs particuliers sont scolarisés soit dans l'enseignement ordinaire, soit dans l'enseignement séparé selon le système et la méthode d'identification et d'évaluation des besoins. Les différences dans les pourcentages d'élèves scolarisés dans des structures séparées reflètent davantage la diversité des procédures d'évaluation et des modes de financement que les différences dans l'incidence réelle des besoins éducatifs particuliers entre les pays.

En matière d'éducation des jeunes ayant des besoins éducatifs particuliers, on s'accorde généralement sur le fait que la situation souhaitable est leur intégration dans l'enseignement obligatoire ordinaire, même si tout le monde n'est pas d'accord sur le fait que cet enseignement soit toujours le plus approprié. Il est donc important de garder à l'esprit que l'examen de l'évolution de la proportion d'élèves à besoins éducatifs particuliers scolarisés séparément ne dit rien, à lui seul, sur la question de la qualité de l'éducation. L'intégration dans un établissement ordinaire ne garantit pas nécessairement un enseignement de qualité; inversement, la scolarisation dans un environnement éducatif séparé n'aboutit pas, pour certains élèves, à un enseignement inapproprié.

Le taux de participation dans l'enseignement séparé au cours de la période 1996-2004 reflète les différentes politiques nationales en matière d'éducation des enfants à besoins éducatifs particuliers.

Sur l'ensemble des élèves en âge de scolarité obligatoire, les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers représentent moins de 1 % en Grèce, en Espagne, en Italie, à Chypre, au Portugal, en Islande et en Norvège , entre 1 et 3 % dans treize autres systèmes éducatifs, plus de 3 % dans les Communautés française et flamande de Belgique, en République tchèque, en Allemagne, en Estonie, en Lettonie, en Hongrie, en Slovaquie et en Finlande.

La manière de définir les besoins éducatifs particuliers, ainsi que les types d'enseignement mis en place pour y répondre, diffèrent suivant les pays. Il est par conséquent impossible d'établir des comparaisons directes entre pays. Toutefois, les tendances relevées dans la proportion d'élèves scolarisés dans le cadre d'un enseignement séparé constituent une information utile sur l'évolution vers une intégration dans l'enseignement ordinaire des élèves à besoins particuliers enregistrée entre 1996 et 2004. Sauf exception, ces tendances ne témoignent que de changements très modérés, et aucun profil dominant n'émerge clairement en Europe. Le nombre des pays qui enregistrent une augmentation de la proportion d'élèves à besoins éducatifs particuliers scolarisés dans un cadre séparé est similaire au nombre des pays qui présentent une diminution de ces mêmes effectifs. Plusieurs pays n'observent aucun changement, ou presque, de ces proportions sur la période concernée.

 

 

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