Dr. Lionel Thivard (Unité d'épileptologie et Service de soins de suite et réadaptation neurologique du Pr. Baulac, La Salpêtrière, Paris
Définition :
L'épilepsie post-traumatique (EPT) se définit par la survenue d'une ou plusieurs crises d'épilepsie au delà de la première semaine suivant un traumatisme crânien (TC). Pour parler d'EPT, il faut non seulement que le TC précède les crises mais aussi qu'il en soit la cause. Les crises précoces (immédiates < 24h ou retardées < 1 semaine) sont des crises symptomatiques aigues correspondant à la réaction du cerveau aux effets physiques du TC. Les crises secondaires ou tardives (survenant après la première semaine) répondent à la définition de maladie épileptique post-traumatique.
Données épidémiologiques :
L'épilepsie en général est une des affections neurologiques les plus fréquentes avec une incidence entre 20 et 130/100 000 habitants par an et une prévalence entre 0,5 et 0,8 % de la population, soit environ 450 000 personnes en France. La place de l'EPT représente environ 5% des épilepsies. L'incidence de l'EPT est difficile à apprécier étant donné la très grande diversité de la notion de TC. Dans les séries militaires, on observe des proportions assez concordantes de 30% à 40% en cas de plaies pénétrantes crânio-cérébrales (1). Dans les séries civiles, en raison notamment de la rareté des plaies crânio-cérébrales, l'incidence est nettement plus basse, de l'ordre de 3 à 7%, voire encore moins si l'on inclut les TC les plus bénins dans les statistiques (2). C'est surtout dans ces traumatismes « civils » qu'il serait utile de mieux cerner les risques de survenue en fonction de certains paramètres de gravité initiale. Pour la population des personnes adultes ayant eu un TC grave, avec une perte de connaissance de plus de 24 heures, les chiffres rapportés dans la littérature se situent entre 15 et 20% (3, 4). Ceci est à rapporter à l'incidence des TC graves en France qui est comprise entre 10 et 20/100 000/an.
Les facteurs de risque de développer une EPT :
Différents marqueurs de gravité ont été discutés dans la littérature comme potentiels facteurs favorisants d'EPT. La durée du coma, l'amnésie post-traumatique et le score de Glasgow initial ont été avancés par certains mais l'altération prolongée de la conscience en l'absence de lésion cérébrale documentée n'apparaît pas comme un facteur de risque. Il semble que la nature du TC (pénétrant avec fracture et embarrure), la présence de lésions cérébrales focales (en particulier de type hématome ou contusion hémorragique) ainsi que la notion de crises précoces favorisent le développement d'une EPT. Ces facteurs de risque ont été confirmés dans une étude récente, avec par ordre d'importance: la survenue de crises précoces, une fracture en particulier déplacée, un déficit neurologique focal permanent, une lésion cortico-sous-corticale au scanner en particulier en cas d'hématome intra-cérébral (5). Cette même étude n'a pas montré de lien entre la survenue d'une EPT et la durée du coma, le score de Glasgow initial ou la durée de l'amnésie post-traumatique.
Doit on donner un traitement antiépileptique en cas de facteurs de risque élevés ?
Un traitement anti-épileptique est souvent prescrit en cas de TC grave, en particulier en milieu de réanimation neurochirurgicale. Il a été démontré avec la phénytoïne et la carbamazépine une diminution du risque de crises dans la première semaine mais aucun effet protecteur significatif n'était observé entre le 8ème jour et la fin de la 2ème année (6). Les travaux récents n'ont pas démontré d'effet prophylactique sur le développement ultérieur de l'EPT. Il existe uniquement un effet de protection contre la survenue de crises pendant l'administration du traitement. Il faut aussi tenir compte de la plus grande neurotoxicité des antiépileptiques en particulier durant la phase précoce et des effets secondaires cognitifs qui peuvent êtres gênants à la phase de rééducation. En cas de TC fermé et en l'absence de crises documentées, il n'y a donc pas d'intérêt à poursuivre le traitement anti-épileptique au-delà de la première semaine suivant le TC et une tentative d'arrêt progressif du traitement est possible sous surveillance médicale. En cas de TC ouvert et/ou de crises précoces, du fait du risque plus important, la poursuite ou non du traitement sera à discuter au cas par cas.
Délai de survenue des crises et physiopathologie de l'EPT :
Le délai de survenue des crises est variable en fonction de la population étudiée, de l'ordre de 40% dans les 6 premiers mois, 55% environ dans la première année et 80% avant 2 ans. Après une plaie pénétrante, les patients conservent un risque de développer une épilepsie jusqu'à 10 à 15 ans après le TC. Ce délai « d'incubation » représente la période clé pendant laquelle se développent les mécanismes de l'épileptogénèse post-traumatique. Un TC déclenche une série de réponses comportant une modification du débit sanguin, une altération de la barrière hémato-encéphalique, des lésions ischémiques ou hémorragiques avec une interruption des faisceaux de fibres. La présence de sang semble être un facteur de risque de développer une EPT. L'extravasation de sang, suivie d'hémolyse et de dépôts de produits dérivés de l'hémoglobine semble initier une séquence de libération de radicaux libres. Ces phénomènes pourraient conduire à une dégradation, notamment induite par le fer, des membranes neuronales. Par ailleurs, le phénomène de bourgeonnement axonal (ou sprouting) est connu pour jouer un rôle d'entretien de l'épileptogénèse dans certaines épilepsies du lobe temporal. La question qui se pose actuellement est de savoir si ce sprouting pourrait être la conséquence d'une lésion cérébrale induite (comme au cours d'un TC) et précéder alors les crises. La conception de traitements « préventifs » de l'épilepsie post-traumatique passe par la compréhension de cette cascade d'événements conduisant à l'apparition des crises.
Diagnostic et pronostic d'une EPT :
Le diagnostic d'une EPT est celui d'une épilepsie focale avec crises partielles simples, complexes ou secondairement généralisées. Un bilan biologique et d'imagerie peut être réalisé en fonction du contexte pour rechercher des facteurs favorisants et éliminer une autre pathologie que le TC, en particulier en cas de début tardif après la deuxième année. La décision de débuter un traitement après une première crise n'est pas systématique mais doit tenir compte des conditions de survenue (existence ou non de facteurs favorisant tels que fièvre, médicaments psychotropes, manque de sommeil) et des souhaits du patient en sachant que le risque de récurrence est estimé entre 30 et 50%. Si une deuxième crise survient, le principe sera d'utiliser une monothérapie et de prendre soin d'obtenir l'adhésion du patient pour un traitement au long cours. La quasi-totalité des antiépileptiques étant indiqués dans l'EPT, l'élément essentiel dans le choix de la molécule sera sa bonne tolérance chez des patients parfois fragiles (troubles cognitifs, troubles de l'équilibre et de la coordination). Il ne faudra pas hésiter à changer de molécule en cas de mauvaise tolérance, afin d'obtenir la meilleur observance possible. L'EPT est considérée en général comme étant facile à contrôler mais il sera parfois nécessaire de procéder à plusieurs adaptations thérapeutiques avant d'obtenir un contrôle des crises satisfaisant.
EPT et insertion socio-professionnelle :
Le diagnostic d'épilepsie va avoir des répercutions sur la vie sociale et professionnelle du patient traumatisé crânien et parfois gêner les démarches d'insertion socio-professionnelle. Même si l'épilepsie est bien contrôlée par le traitement, il est recommandé d'éviter les postes de travail en hauteur, la conduite d'engins, les postes sur certaines machines-outils et plus généralement les circonstances où une perte de connaissance brutale aurait des conséquences graves pour la personne ou son entourage. Mis à part ces cas particuliers, la quasi-totalité des professions sont accessibles au patient épileptique, qui n'est pas tenu de déclarer sa maladie à son employeur. Il est conseillé au patient de prévenir le médecin du travail afin que ce dernier puisse évaluer l'aptitude au poste de travail. En ce qui concerne la conduite automobile, il est interdit aux patients épileptiques de conduire des véhicules poids lourds, de transport en commun, taxis et ambulances. Pour les véhicules personnels légers, une compatibilité temporaire peut être envisagée après accord de la commission médicale départementale. Les critères retenus pour autoriser la conduite correspondent essentiellement à une épilepsie bien contrôlée par le traitement avec un certificat attestant d'un suivi médical régulier.
Références : (1) Weiss GH et al. Arch Neurol 1983; 40: 7-10 (2) Annegers JF et al., Neurology 1980; 30: 683-689 (3) Richard I et al., Ann Réadaptation Méd Phys 1998; 41: 409-415 (4) Annegers JF et al., N Engl J Med 1998; 338: 20-24 (5) Asikainen I et al., Epilepsia 1999; 40: 584-589 (6) Temkin NR, Epilepsia 2001; 42: 515-524
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