Interview de l'Amiral (E.R) Jean PICART, Vice-président de l'UNAFTC
Quel peut être le comportement des familles devant un proche en état végétatif persistant et devant un de ses membres en état paucirelationnel ?
Il n'y a pas de comportement type des membres des familles face aux situations que vous évoquez. Chacune est unique. Il faut rappeler la distinction entre "état végétatif persistant" (E.v.p.), également dénommé "état végétatif chronique" et "état paucirelationnel" (E.p.r.). Le premier est défini par l'absence de toute réaction perceptible à un stimuli. Le second caractérise une capacité relationnelle limitée.
Le point commun à ces deux états est la situation d'état végétatif.
Les principaux facteurs caractéristiques et significatifs sont: l'état du blessé (coma, E.v.p., E.p.r...), en lien avec la durée écoulée depuis le traumatisme, le vécu relationnel antérieur, l'accompagnement psychologique apporté, l'empathie e l'équipe de prise en charge, les circonstances du traumatisme, le "rang" de la personne dans la famille (conjoint, fatrie,etc.), etc.
L'annonce du coma déclenche presque toujours un traumatisme psychique grave qui submerge nos défenses psychologiques naturelles et se traduit par une trace, parfois indélébile, dans le psychisme de chacun. S'ajoutent souvent, pendant cette période : un sentiment de culpabilisation, le stress qu'engendre la relation à la mort possible du blessé, la souffrance psychologique d'un avenir inconnu, l'impossibilité fréquente des médecins à émettre un pronostic.
Puis surviennent les premiers signes de l'éveil du coma qui marquent le début de la phase de l"'état végétatif". Ils entraînent un resserrement et une mobilisation de la famille. C'est à la fois l'espoir qui renaît et la crainte d'un futur inconnu qui s'installe.
L'état végétatif va évoluer, ou non, vers un degré de conscience plus ou moins avancé. Les familles se posent alors la question: "Quelles séquelles peut-on envisager ?". La réponse médicale ne peut être généralement exprimée qu'en termes statistiques, ce qui ne satisfait pas les familles.
Vient le moment de poser le diagnostic, de l'état végétatif chronique ou d'une probable stagnation en état paucirelationnel. Cette décision n'est pas toujours clairement explicitée à la famille. S'agissant d'un traumatisé crânien en E.v.p., elle intervient en règle générale un an environ après l'accident (par contre, le diagnostic peut être posé après 3 à 4 mois d'Accident vasculaire cérébral ou d' Anoxie cérébrale).
L'annonce de l'état végétatif marque pour certaines familles le début de l'abandon progressif de leur blessé à "l'institution". Les autres familles recherchent une solution institutionnelle acceptable ou décident le maintien au domicile du patient. Nous estimons que cette dernière solution, terriblement destructrice pour tous, ne devrait pas être retenue en raison de la charge intolérable qu'elle implique (encore faudrait-il qu'existent des établissements permettant un véritable choix !).
Le comportement des familles, lorsque son blessé survit en E.p.r. est très différent. La relation blessé environnement, si limitée soit-elle, est un signe de vie perceptible. Mais plus les progrès espérés stagnent, plus la désespérance s'installe. Le comportement des familles varie entre deux extrêmes:
Première approche: "La vie du blessé, dans de telles conditions, mérite-t-elle d'être vécue ?". Si la réponse est négative, la révolte et les reproches, parfois violents, à l'équipe qui a "laissé" se développer Une telle situation ne sont pas rares.
L'autre extrême est la relation quasi-fusionnelle qu'établit la famille avec le blessé. Seule la solution du maintien au domicile est prise en compte.
En résumé:
L'attitude de chacun devant un tel drame est unique. Elle doit être respectée et surtout ne jamais être jugée.
La prise en charge sanitaire est-elle satisfaisante?
Comme pour bien d'autres pathologies il existe des disparités importantes entre les diverses régions.
Elles sont la résultante de divers facteurs: distance. "lieu de l'accident – du domicile- lieu de soins", compétence et équipement de la structure de première prise en charge. Aucune politique de santé structurée n'a été définie, l'égal accès de tous aux soins demeure un mythe.
Cet immobilisme à la fois des politiques et de l'Administration de la Santé est, dans certaines Régions, compense par la sensibilisation des A.RH. et l'action des A.F.T.C.
On peut diviser la prise en charge sanitaire des Traumatisés Crâniens en trois phases:
La première phase va de l'accident à l'admission en service de réanimation. La qualité du fonctionnement des SMUR en FRANCE est généralement remarquable.
La seconde phase est celle de la "Réanimation" (REA) dont la mission est de rétablir l'autonomie des fonctions vitales du blessé. Seuls des services très spécialisés de réanimation neurochirurgicale ont les moyens de traiter ces situations sévères. le plus souvent, le nombre de ":lits" adéquats est insuffisant. Lorsque le blessé présente un polytraumatisme, "l'aiguillage" vers ces services n'est pas toujours le meilleur choix.
Le bilan de la prise en charge sanitaire dans cette phase est donc très mitigé.
La troisième phase est celle de la Rééducation et de la Réadaptation Fonctionnelle (RRE...). assuré dans des services de Médecine Physique et de Réadaptation (M.P.R). La précocité d'une prise en charge ré éducationnelle globale est déterminante pour le devenir séquellaire du blessé. Elle est rarement efficacement assurée, c'est pourquoi nous demandons la création généralisée de lits d'éveil à proximité des services de "REA".
Les professionnels la Santé considèrent que la prise en charge des troubles des fonctions supérieures spécifiques aux Traumatisés Crâniens nécessite une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire spécialisée et une rééducation neurologique spécifique. Or, la formation et le domaine de compétence de la M..P.R. couvre un spectre très large (S.O.F.M.E.R Bordeaux - Octobre 2001) soit 24 pathologies dont 8 relèvent de la neurologie. Sauf cas particuliers, les médecins M.P.R ne sont pas formés à la spécificité de la pathologie T. C..
L'UN.A.F.T.C. a effectué, en 1999, une enquête auprès des 472 établissements répertoriés par le ministère des Affaires sociales, et disposant d'un service de "R.R.F. " . Elle concernait les personnes Traumatisées Crâniennes Graves (T.C.G. : Score de Glasgow ≤ 8).
Une brève synthèse fait ressortir les données suivantes: 231 services ont répondu (49 %),
54 % accueillent 2.206 T.C.G., 36 d'entre eux prennent en charge 1.650 T.C.G. à raison d'au moins 15 par an, 13 de ces 36 unités sont polyvalentes
Le taux de réponse et l'exploitation plus fine des réponses et des commentaires qui y étaient exprimés, permettent d'avancer: Une insuffisance du nombre de psychologues et de neuropsychologues, la quasi absence de phoniatres, de psychomotriciens et d'éducateurs, l'hétérogénéité de la composition des équipes d'une unité à l'autre, la constatation que la majorité des T.C.G. sont pris en charge dans des services n'offrant pas de garantie de qualité spécifique suffisante.
En résumé:
Le fonctionnement des urgences est satisfaisant. Mais il est parfois inadapté (tri au niveau de l'arrivée à l'hôpital).
La prise en charge est de très bon niveau dans les services de réanimation neurochirurgicale, mais le nombre de lits et de personnel est généralement insuffisant.
La prise en charge en R.R.F. est de qualité très hétérogène, et certainement insuffisante dans la majorité des cas.
Nous pointons la quasi inexistence d'une prise en charge psychologique des familles en phase hospitalière.Nous noterons aussi l'absence presque généralisée de lits "d'éveil du coma".
Ainsi le bilan global de la prise en charge sanitaire des Traumatisés Crâniens Graves est, à notre avis, peu satisfaisant malgré l'existence de centres d'excellence.
Nous terminerons ce constat par une note positive: la parution le 3 mai 2002 d'une Circulaire définissant la prise en charge sous régime "sanitaire" , sans limite de durée, pour les personnes en E.V.P. ou E.P.R. lourds.
Qu'en est il également de la prise en charge sociale ? Quelles sont, entre autres, les charges financières qui incombent à la famille?
Elle est actuellement assurée sans critères particuliers. La plus grande disparité règne dans ce domaine.
Les personnes considérées peuvent être: dans un service de R.R.F, en unité de moyen séjour, ou de "long séjour", en maison de retraite médicalisée, au domicile familial...
Il faudra attendre pour que cesse cette situation la réalisation des unités spécifiques définies dans la Circulaire du 3 Mai 2002.
Le dévouement et la compétence des Directeurs d'établissements et des personnels qui accueillent ces blessés ne sauraient être mis en cause: il s'agit d'un problème de Santé Publique ignoré jusqu'à présent.
La prise en charge en milieu familial implique l'organisation et la coordination des soins, de l'aide à domicile, des services de Tierce Personne... La mise en place généralisée des Dispositifs pour la Vie Autonome (D.V.A.) a l'ambition, en principe, de leur apporter une aide dans ce domaine. Cependant la spécificité des patients qui nous concernent nécessite des compétences particulières et justifie l'indispensable création de services pluridisciplinaires adaptés: les S.A.M.S.A.D. (Service d'Aide et de Maintien à Domicile).
La famille est en quelque sorte "soignante" de son blessé... Mais elle est aussi "patiente" au sens de "sujet médical". Cette dernière dimension n'est pratiquement jamais prise en compte, sauf dans quelques services de M.P.R.
Ce manque doit être. dénoncé comme une lacune grave tant de la politique sanitaire que de la politique médico-sociale. Au bout du compte, c'est le blessé qui en subit les conséquences. Dans ce domaine encore, les S.A.M.S.A.D. auraient à jouer un rôle capital.
Les frais financiers qui demeurent à la charge de la famille dépendent en partie de l'importance des sommes allouées, le cas échéant, à la victime par l'assureur, en réparation de ses préjudices. Dans ce cas les victimes ou leurs familles ne devraient pas, en principe, supporter de charges financières.
Dans les autres cas elles se trouvent dans la même situation que toute autre personne handicapée!
Notons cependant que les dispositions actuelles prévoient la prise en charge par les familles en E.VP. ou en E.P.R. dans les établissements dits de long séjour. Cette situation cessera lorsque l'application de la Circulaire du 3 mai 2002 deviendra effective.
Quelles sont les structures d'accueil qui vous paraissent les plus adaptées? En dispose-t-on en nombre suffisant ? Qu'attendez-vous des Pouvoirs publics?
La nécessité d'une continuité que devrait offrir le maillage en RESEAU, d'établissements et de services, est incontournable. Ces réseaux doivent permettre à chacun d'emprunter une filière individualisée tant sanitaire que médico-sociale. La dichotomie existant actuellement entre le "sanitaire" et le "médico-social" a des effets pervers pour le blessé. L'intérêt des patients qui doivent être "au cœur du dispositif" nécessite que ces deux réseaux réglementaires soient articulés avec souplesse... et soient à "dimension humaine".
Les structures que nous considérons comme les plus adaptées à la prise en charge des patients en E.V.P.. sont défInies dans le cahier des charges de la Circulaire du 3 Mai 2002, élaborée en concertation avec l'U.N.A.F.TC.
Cependant, ce dispositif demeurerait incomplet s'il n'était associé à un S.A.M.S.A.D. dont un des rôles serait d'accompagner et de soutenir la famille de ces blessés.
La problématique de l'accueil des personnes en E.P.R. se présente différemment..En effet, cet état présente un large éventail de gravité de situations. Le plus souvent, il est accompagné d'une dépendance physique lourde. Par ailleurs, c'est un état susceptible d'évoluer, selon la forme et la qualité de la prise en charge. Les structures d'accueil adaptées constituent donc un choix difficile qui doit associer l'équipe soignante, la famille et si possible la victime. L'alternative est: soit un centre du type décrit dans la Circulaire du 3 mai 2002, soit en foyer d'accueil médicalisé (F.D.T) spécifique.
La deuxième partie de la question que vous posez appelle, actuellement, une réponse lapidaire:
"Non et loin s'en faut... ! "
Qu'attendons-nous des Pouvoirs publics?
En priorité, d'une part, des établissements et services pour une prise en charge adaptée et digne de ces blessés et, d'autre part, l'accompagnement de leur famille. Ceci suppose:
- des crédits, une planification sanitaire et médico-sociale .sans discontinuité et exprimée en termes de contenu.
- la. fixation de tarifications adaptées aux tâches nécessaires et à la qualité de la prise en charge. Le principe en. est d'ailleurs fixé dans la Circulaire n° 96-428 du 4 Juillet 1996. TI n'a été appliqué qu'exceptionnellement, généralement en raison de l'opposition de principe des "C.R.A.M." (Caisse Régionale d'Assurance Maladie).
- que l'accompagnement et le soutien psychologique des familles n'est pas résolu par la seule mise en place des DVA. (Dispositif pour la Vie Autonome). l'U.N.A.F.T.C. demande la création urgente de S.A.M.S.A.D. pour assurer ce rôle en complément, et en coordination avec les D.V.A.
- que, malgré une prise de conscience, certaine au niveau de la Justice, les droits à indemnisation des victimes d'accidents corporels soient réétudiés dans leur principe. Les Législateurs et la Justice devront s'employer à mieux faire respecter et adapter ce droit des victimes, à résoudre les dérives actuelles, à légiférer sur le recours des organismes sociaux actuellement fondamentalement injuste. Les propositions du groupe de travail constitué par le Ministère de la Justice en 2001 vont dans ce sens et sont source d'espoirs.
Une société ne peut se construire sans une implication solidaire et fort envers les plus démunis, or les personnes en E.V.P. ou en E.P.R. "lourds" sont sans doute les plus faibles d'entre les faibles. Notre société l'ignore trop souvent!