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Maître André MEIMON, Avocat à la Cour d’appel de Paris - L’offre d’indemnisation de l’assureur : les promesses non tenues, comment y remédier ? (Résurgences N°10, 2ème semestre 1994)


L’offre d’indemnisation de l’assureur : les promesses non tenues, comment y remédier ?

Maître André MEIMON, Avocat à la Cour d’appel de Paris - Résurgences N°10, 2ème semestre 1994, pages 20 à 21

L'auteur a déjà traité dans le numéro 9 de RÉSURGENCES du droit à indemnisation des per­sonnes victimes d'un accident DONT UN TIERS EST RESPONSABLE (RÉSURGENCES n°9 du 1er semestre 1994: Traumatisés crâ­niens, êtes-vous bien défendus ?).

Nous complétons cette infor­mation sur un sujet brûlant par un nouvel article que Me MEIMON a bien voulu nous confier pour le plus grand intérêt de beaucoup de familles concernées.

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 avait une double ambition, clairement exprimée dans son intitu­lé, à savoir :

  • d'une part "l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation",
  • d'autre part, "l'accélération des procédures d'indemnisation".

A-t-elle atteint ses objectifs ?

Il ne saurait être question dans ce bref article de faire un bilan complet de ses résultats, mais sur un point au moins correspondant à l'une des dis­positions très importantes du texte de loi, l'échec est total.

Echec qui lèse gravement les inté­rêts des victimes d'accident de la cir­culation et plus particulièrement celles dont la consolidation des bles­sures n'est acquise qu'après de nombreuses années, en particulier les traumatisés crâniens.

Bien que le texte de loi emploie, ce qui est naturel, le terme général de "victime des accidents de la circu­lation", pour ma part et pour faciliter la compréhension de mon propos, j'utiliserai au lieu du mot "victime "celui de "traumatisé crânien".

L'offre d'indémnité de l'assureur

La loi comporte 48 articles en tout. Nous examinerons dans notre présent propos, uniquement la sec­tion III, les articles 12 à 27 concer­nant l'offre d'indemnité.

Le législateur, dans une intention louable et afin d'éviter que le trauma­tisé crânien demeure trop longtemps dans l'incertitude, tant sur le montant de l'indemnité proposée que sur le délai de règlement, oblige l'assureur à formuler une offre d'indemnisation.

Sur ce point, le texte de la loi est clair et d'une compréhension aisée.

Deux hypothèses sont à envisa­ger :

  • Première hypothèse : l'assureur dans les trois mois de l'accident n'a pas été informé de la consolida­tion des blessures. Il se doit de faire une offre d'indemnisation provi­sionnelle, "c'est à dire proposer une somme dont le montant est à valoir sur celle qu'il devra offrir lorsque le traumatisé sera consolidé".
  • Deuxième hypothèse : l'assu­reur est informé de la consolidation des blessures du traumatisé crânien. Il doit alors, dans les 5 mois de cette connaissance proposer des offres définitives de règlement.

Comment l'assureur est-il infor­mé ?

Il peut l'être de différentes façons, soit :

  1. par le traumatisé crânien lui-même qui lui fait parvenir les certifi­cats médicaux établis par son méde­cin traitant ;
  2. par le compte-rendu d'exa­men médical auquel procède le médecin-conseil de la compagnie d'assurance.
    • Il convient ici de rappeler que le médecin conseil n'offre pas toutes les garanties d'objectivité, de neutra­lité et d'impartialité d'un expert judi­ciaire nommé par le tribunal. Le médecin conseil d'assurance reçoit sa mission de la Compagnie, il a charge et le souci de défendre les intérêts de sa cliente qui le mandate et le paye.
  3. en cas de procédure judiciai­re, par la présence du médecin conseil de la compagnie aux opéra­tions de l'expert nommé par le tribu­nal;
  4. par le dépôt du rapport de l'expert judiciaire. Rapport qu'il est tenu d'adresser en copie à toutes les parties au procès, donc à l'assureur;
  5.  par l'avocat du traumatisé crâ­nien qui fait obligatoirement état dans ses actes de procédure (assi­gnation, conclusions) de la consoli­dation intervenue.

Ainsi, quel que soit le moyen par lequel la compagnie d'assuran­ce est tenue informée, elle se doit, dans les délais impartis (3 ou 5 mois) de formuler une offre provi­sionnelle ou définitive.

Quant au contenu de cette offre, le texte de loi est également très pré­cis : il indique qu'elle comprend tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux biens.

Au cas où l'assureur viendrait à manquer à ces obligations, le texte de loi a prévu des sanctions assez rigoureuses.

S'il y a absence totale d'offre d'in­demnité dans les délais impartis, le tribunal, après avoir évalué le préjudi­ce, devra allouer à la victime, outre l'indemnité correspondante, des inté­rêts de retard à un taux fort élevé, double du taux d'intérêt légal.

Pour les 5 dernières années, ces taux ont varié comme suit :

date        taux         double

1/1/90      9,36%     18,72%

1/1/91     10,26       20,52

1/1/92       9,69      18,38

1/1/93      10,40     20,80

1/1/94        8,40     16,80

Mais s'il y a de la part de l'assu­reur, simulacre d'offre ou offre manifestement insuffisante, le Juge peut sanctionner cette attitude en condamnant la compagnie d'assu­rance à verser au fonds de garantie une somme égale à 15% de l'indem­nité allouée par le tribunal et en outre à verser au traumatisé crânien des dommages et intérêts en fonction du préjudice que lui cause ce retard.

Quant à la durée pendant laquelle l'assureur sera tenu de verser des intérêts au double du taux légal, celle-ci a pour point de départ la date à laquelle l'assureur informé était tenu de formuler des offres et elle se perpétue jusqu'à ce qu'il remplisse son obligation, ou à défaut, jusqu'à ce qu'intervienne un jugement défi­nitif.

Cet adjectif "définitif" prévu au texte de loi, allonge avantageuse­ment les délais, car entre la date où est rendue la décision de justice et celle où elle devient définitive, de nombreux mois peuvent s'écouler.

Nous constatons que le texte de loi est très précis. Il est protecteur des intérêts du traumatisé crânien.

Le but poursuivi par le législateur est d'éviter que les lenteurs inhé­rentes à la mise en oeuvre de la réparation du dommage portent pré­judice aux intérêts du traumatisé crâ­nien.

Telle est la théorie ! Qu'en est-il de la réalité ?

Les litiges sont réglés par les assureurs, à l'amiable, ou à la suite d'une ptocédure judiciaire. Nous savons qu'environ 86% des accidents de la circulation sont l'ob­jet d'un règlement amiable entre assureurs et victimes.

Il semble bien que l'assureur ne propose jamais à la victime, dans le cadre d'un règlement amiable, le moindre intérêt pour compenser le retard de son offre d'indemnisation.

Le traumatisé crânien perd dans ce cas le bénéfice des dispositions protectrices de la loi.

Mais pour ce qui est des litiges réglés par voie judiciaire, il faut savoir sur ce point particulier, qu'en 8 années d'application de la loi, les Tribunaux n'ont eu à se prononcer que 9 fois, ce qui signifie en clair et en moyenne une décision par an. C'est pratiquement nul.

En outre, ce sentiment de carence quasi-totale de la justice se transfor­me en un certain malaise lorsque l'on examine les décisions rendues. Les indemnités pour défaut d'offre ou offre insuffisante sont dérisoires, voire refusées !

C'est ainsi à titre d'exemple, que le Tribunal de Grande Instance de Créteil dans un jugement du 15 jan­vier 1987, a fixé à 1.700 F l'indemnité à verser par l'assureur au Fonds de Garantie, alors que son offre était de 10.000 F et que le Tribunal a alloué une somme de 30.000 F.

Au passage, il convient de relever que la victime n'a rien obtenu pour son préjudice personnel du fait de cette offre excessivement faible.

Il convient en revanche de relever une décision très fortement charpen­tée du T.G.I. de Laval en date du 2 mai 1988 qui rappelle les principes fondamentaux en la matière et sanc­tionne l'assureur pour ne pas s'y être conformé. Celui-ci a été condamné à des dommages et intérêts envers la victime et, en outre, à régler les inté­rêts des sommes allouées au double du taux légal.

Pour tous ceux qui tardent à obte­nir la réparation de leur préjudice, une indemnité supplémentaire fixée au double de l'intérêt légal des sommes octroyées permettrait de leur assurer des moyens d'existence pendant toute la durée de la procé­dure.

Pour s'en convaincre, il suffit de faire, en fonction du tableau des taux d'intérêt ci-dessus, un rapide calcul des sommes pouvant revenir à la vic­time. Vous verrez qu'elles ne sont pas dérisoires !

En conclusion, le texte de loi est bon, mais pour qu'il entre effective­ment en application, il faudrait que les avocats chargés des recours réclament systématiquement en faveur de leurs clients, l'octroi des intérêts de retard, ou des dom­mages et intérêts lorsque l'assureur ne propose pas un montant manifes­tement raisonnable.

Il est certain que si tous les avo­cats spécialisés en la matière fai­saient régulièrement entendre leur voix dans les prétoires pour défendre ce texte, ils trouveraient des magistrats attentifs à les entendre et à appliquer la loi.

En France, je suis heureux de le rappeler ici, nous ne manquons pas de magistrats compétents, sérieux et ayant assez de coeur pour modifier en faveur des victimes, des traumati­sés crâniens en particulier, le cours actuel des choses.

Maître André MEIMON, Avocat à la Cour d’appel de Paris

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