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Paillat C, D’Apolito A-C, Massonneau (Neuropsychologue (UEROS-Ugecam), Médecin MPR et Erothérapeute (Comète) de l'Hôpital R.Poincaré - La reprise de la conduite automobile après un accident cérébral (Résurgences, numéro 47, juin 2013)


Notre expérience clinique auprès des personnes victimes d’accidents cérébraux nous enseigne que la reprise de la conduite automobile représente une motivation importante à la phase de réadaptation-réinsertion, au même titre que l’insertion professionnelle.

Elle constitue en effet un enjeu majeur pour l’autonomie dans les déplacements extérieurs, alors-même que l’accès aux transports en commun peut s’avérer complexe.

Mais le handicap, moteur ou cognitif, peut représenter parfois un obstacle nouveau pour utiliser son véhicule.

La reprise de la conduite automobile

après un accident cérébral

en questions

 

Article paru dans la revue Résurgences,  Revue de l’UNAFTC Numéro 47 de juin 2013

Par: Paillat C.1, D’Apolito A-C.2, Massonneau A.3

1Neuropsychologue – Antenne UEROS-Ugecam – Hôpital R. Poincaré – 104, bld R. Poincaré (92380 Garches)

2Médecin MPR – Unité Comète - Hôpital R. Poincaré – 104, bld R. Poincaré (92380 Garches)

3Ergothérapeute – Unité Comète - Hôpital R. Poincaré – 104, bld R. Poincaré (92380 Garches)

 

Introduction

Notre expérience clinique auprès des personnes victimes d’accidents cérébraux nous enseigne que la reprise de la conduite automobile représente une motivation importante à la phase de réadaptation-réinsertion, au même titre que l’insertion professionnelle.

Elle constitue en effet un enjeu majeur pour l’autonomie dans les déplacements extérieurs, alors-même que l’accès aux transports en commun peut s’avérer complexe.

Mais le handicap, moteur ou cognitif, peut représenter parfois un obstacle nouveau pour utiliser son véhicule.

 

 La reprise de la conduite automobile après un accident cérébral est-elle risquée ?

 Plusieurs études scientifiques en Europe soulignent un risque d’accidents plus élevé pour les personnes cérébro-lésées ayant repris la conduite.

En Italie, Formisano et al. (2005) indiquent un taux d’accident 2,3 fois plus élevé chez une population de 29 patients victimes d’un traumatisme crânien sévère, en comparaison du risque encouru par la population générale. Bivona et al. (2012) précisent, outre  une augmentation du nombre d’accidents pour les 30 traumatismes crâniens sévères de leur étude, une responsabilité engagée plus fréquente.

En Suède, Lundqvist et al. (2008) décrivent également – en comparaison des 49 sujets contrôles – un nombre d’accidents déclarés à l’assurance plus important pour les 38 personnes victimes de lésions cérébrales (dont 10 traumatismes crâniens) 10 ans après l’accident cérébral.

En Norvège, Schanke et al. (2008) retrouvent un taux d’accident environ 2 fois plus élevé pour les 28 traumatismes crâniens de leur étude, en fonction du kilométrage parcouru, comparativement à la population générale.

S’il faut donc considérer les personnes victimes d’un accident cérébral comme une population plus exposée aux accidents de la route, quelles sont les obligations à remplir pour leur permettre d’envisager de reprendre la conduite automobile ?

 

Qu’impose le cadre législatif en France ?

Si le permis de conduire n’est ni retiré ni suspendu après la survenue d’une quelconque affection médicale, l’arrêté du 8 février 1999, relatif aux conditions d’établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire (qui sera remplacé à partir du 19  janvier 2013 par l’arrêté du 20 avril 2012), stipule clairement que toute personne atteinte d’une pathologie susceptible d’atteindre sa capacité de conduite doit solliciter un avis médical.

Dans le cas contraire, si le conducteur n’encourt aucune peine, ni amende, il s’expose auprès de son assurance qui, en cas d’accident de la route ultérieur, pourrait ne pas prendre en charge le sinistre si le conducteur n’avait pas respecté cette obligation légale.

L’arrêté du 31 août 2010 (listant les affections incompatibles avec le maintien du permis de conduire) mentionne explicitement le traumatisme crânien (classe 4.5) et l’accident vasculaire cérébral (classe 4.7), qui peuvent renvoyer directement à de nombreuses autres affections : notamment les troubles neurologiques comportementaux et cognitifs (classe 4.5.), l’épilepsie (classe 4.6), les altérations visuelles (classe 2), les troubles de l’appareil locomoteur (classe 5), les troubles du sommeil (classe 4.3), la prise de médicaments (classe 4.2) ou encore des pratiques addictives (classe 4.1).

Il est important de rappeler ici que la démarche de solliciter un avis médical est à l’initiative du conducteur.

Or, dans le cas d’une personne victime d’un accident cérébral, cette démarche peut être compliquée par la nature-même des séquelles, et plus particulièrement par les troubles neuropsychologiques.

En effet, comment convaincre une personne anosognosique ou présentant un déni, ayant des difficultés pour identifier ou accepter ses propres insuffisances éventuelles (attentionnelles, ralentissement, …), ou une personne souffrant de troubles du jugement ou du comportement, de se diriger volontairement vers un médecin, qui pourra éventuellement remettre en cause son aptitude à conduire ?

Comment attendre d’une autre personne, atteinte de troubles sévères de la mémoire ou de difficultés d’organisation, qu’elle puisse suivre ce protocole sans y être accompagnée ?

Certes le médecin a un devoir d’information auprès du patient, mais ne peut – au nom du secret professionnel – transmettre directement des informations aux médecins agréés ou à la Préfecture.

L’entourage familial se retrouve donc parfois dans la situation inconfortable de devoir contraindre un proche à réaliser la démarche de régularisation, voire à faire un signalement en Préfecture ; avec les conséquences relationnelles et affectives qui peuvent en découler…

Dès lors, ne faudrait-il pas dans un premier temps se diriger vers une meilleure sensibilisation à la démarche de régularisation de la conduite après un accident cérébral, en distribuant systématiquement brochures ou plaquettes d’informations (ou autre document écrit) dans les services hospitaliers et centres de rééducations ?

Nombreux sont encore les blessés à nous répondre, un an ou davantage après leur accident, ne pas avoir été informé de cette problématique (ou avoir oublié ?), et ainsi avoir repris la conduite automobile sans évaluation préalable ni visite médicale spécifique.

Faudrait-il même réfléchir à des mesures préventives, permettant de suspendre le permis de conduire jusqu’à l’examen médical obligatoire ?

 

Qui délivre l’aptitude médicale à la conduite automobile ?

Depuis le 1er septembre 2012 (et l’entrée en vigueur du décret du 17/07/2012), les personnes victimes d’une affection médicale susceptible d’entraver la conduite doivent se diriger vers des médecins agréés par la Préfecture (qui peut transmettre la liste sur simple demande), exerçant en cabinets ou établissements médicaux.

La commission médicale primaire siégeant à la Préfecture ne gère désormais plus que les situations ayant donné lieu à des annulations ou des suspensions de permis.

A charge donc au conducteur de prendre rendez-vous avec un médecin agréé, qui transmettra ensuite son avis au Préfet. L’aptitude médicale peut être délivrée à titre provisoire (maximum 5 ans) ou définitif. La décision d’inaptitude peut faire l’objet d’un recours en Préfecture.

Le coût de cette visite médicale a été fixé à 33 euros (arrêté du 29/06/2011), mais les conducteurs dont le taux de handicap attribué par la CDAPH est de 50 % minimum peuvent en demander la gratuité.

Le médecin agréé se doit donc de déterminer si le conducteur présente une contre-indication médicale, et le cas échéant mentionner les aménagements nécessaires au poste de conduite.

Si le médecin saisi n’a pas en sa possession tous les éléments médicaux lui permettant de motiver sa décision, il peut solliciter des avis de spécialistes ou des examens complémentaires.

Or, concernant une personne victime d’un accident cérébral présentant des troubles neuropsychologiques, il peut se révéler particulièrement ardu pour un médecin de déterminer par une simple consultation en cabinet, et malgré des comptes-rendus médicaux détaillés sur les séquelles, si la personne possède les capacités attentionnelles, les capacités de discernement et la vitesse d’exécution nécessaires au volant.

Quels sont alors les examens en mesure d’éclairer le médecin agréé ?

 

Quelle(s) évaluation(s) préconiser ? 

Si l’évaluation médicale est indispensable, permettant notamment d’évaluer le handicap moteur, les effets d’un traitement médicamenteux ou les risques liés à une épilepsie, la fréquence des troubles neuropsychologiques associés à un accident cérébral impose des examens complémentaires.

Un bilan neuropsychologique se révèle alors précieux afin de préciser les séquelles cognitives (troubles attentionnels, troubles d’exploration visuo-spatiale, ralentissement, troubles mnésiques, syndrome dys-exécutif, …), mais également les troubles du comportement (irritabilité, agressivité, impulsivité, prise de risque, …) susceptibles d’interférer dans l’activité de conduite automobile.

Cependant, les études scientifiques montrent une certaine disparité concernant la valeur prédictive d’un bilan neuropsychologique sur une évaluation écologique (Classen et al., 2009, pour une revue de la littérature). Cela peut tenir autant à la diversité des tests employés lors des examens, qu’à la spécificité de la conduite sur route qu’il n’est pas aisé de modéliser par des tests standardisés.

Cette remarque semble valoir également pour les tests sur simulateur, dont certains services et centres de rééducations sont équipés en France, qui renseignent sur les aptitudes au volant, mais sans pouvoir recréer fidèlement les conditions réelles d’une conduite sur route, notamment la conscience du risque que celle-ci impose ou la gestion du stress.

On peut cependant estimer que l’examen neuropsychologique doit être maintenu, afin d’interpréter au mieux les comportements défaillants et éventuelles erreurs de conduite en situation écologique, et favoriser alors les perspectives de rééducation.

Afin de mesurer au mieux la capacité pour une personne à reprendre la conduite après un accident cérébral, l’évaluation sur route apparaît donc incontournable. De nombreux services ou établissements de rééducations en France proposent déjà ces évaluations, souvent avec le concours d’auto-écoles partenaires. Cet essai sur route est bien à considérer comme une évaluation de la répercussion des séquelles de l’accident cérébral sur la conduite, et non pas comme un nouvel examen du permis.

Outre le conducteur et le moniteur auto-école à ses côtés cette évaluation écologique est, le plus souvent, réalisée en présence d’un ergothérapeute. Il est en effet précieux de recueillir des regards croisés entre un professionnel de la route et un professionnel paramédical, afin de pouvoir mieux distinguer les comportements de conduite imputables à des habitudes antérieures, de ceux pouvant être liés aux séquelles de l’accident cérébral.

Mais pour cette phase également des disparités existent, concernant la durée de l’évaluation, le coût à charge pour la personne, ou encore le type d’environnement et les situations de conduite rencontrés pendant l’évaluation.

Ainsi, dans un souci d’harmonisation des pratiques d’évaluations, mais aussi d’équité des services aux patients à travers le territoire, ne devrait-on pas s’orienter vers la création de structures spécifiques d’évaluations de la reprise de la conduite, à l’instar d’autres pays en Europe (comme en Belgique ou en Angleterre, par exemple) ?

Ou – à minima – compléter l’actuelle évaluation médicale obligatoire par un bilan neuropsychologique et une évaluation sur route, comme le suggère Galski dans son article en 2000 ?

 

CONCLUSIONS

Du fait de la complexité des séquelles motrices, cognitives et comportementales dont peuvent souffrir les personnes victimes d’accident cérébral, il serait pertinent de proposer – en plus de l’évaluation médicale imposée par la loi – des examens complémentaires approfondis pour déterminer si une personne peut reprendre la conduite automobile.

Dans un premier temps, une consultation médicale doit dépister d’éventuelles contre-indications absolues, liées par exemple à une épilepsie ou un déficit visuel.

Ensuite, un bilan neuropsychologique établit les troubles cognitifs et comportementaux susceptibles de gêner l’activité de conduite automobile.

Enfin, une évaluation sur route permet d’apprécier le retentissement des séquelles cognitives et comportementales observées, mais aussi la capacité pour la personne à s’adapter à de nouveaux aménagements techniques liés à un handicap moteur.

Notre pratique dans ce domaine nous apprend que cette évaluation offre plusieurs bénéfices, tant au patient lui-même qu’à son entourage : soit d’être informé sur des limitations et risques à la conduite, soit d’être rassuré sur son aptitude au volant en ayant été accompagné pour sa reprise, parfois après plusieurs mois (voire années) d’interruption de conduite.

De nombreux services et établissements de rééducation ou de réinsertion en France ont d’ores et déjà mis en place ce type d’évaluations pluridisciplinaires, mais – en l’absence de quelconque cadre réglementaire – de nombreuses disparités d’accès, de services ou de coût peuvent être déplorées par les patients et les professionnels.

Une autre proposition serait de renforcer les mesures d’information et de sensibilisation aux différentes étapes de la prise en charge pour la personne cérébro-lésée (hospitalisation, établissements de rééducation, services de réadaptation et de réinsertion), afin qu’elle soit accompagnée dans sa démarche de régularisation du permis.

D’autres mesures – notamment au niveau du cadre législatif et des mesures sociales – pourraient aussi être discutées dans l’objectif de protéger la victime, parfois malgré elle en raison des séquelles-mêmes de son accident (anosognosie, troubles mnésiques, syndrome dys-exécutif, troubles du comportement), mais aussi de seconder l’entourage familial. 

Car, si en cas d’avis médical favorable il peut se concevoir que l’accompagnement à la reprise de la conduite est relativement simple, en cas d’avis médical défavorable l’entourage familial se retrouve alors souvent en première ligne pour en gérer les conséquences psychologiques (dépression, ou à l’opposé : rejet de la décision médicale), sociales (risque d’isolement relationnel) et matérielles (organiser les déplacements extérieurs).

 

Références :

Formisano R., Bivona U., Brunelli S., Giustini M., Longo E., Taggi F. ; A preliminary investigation of road traffic accident rate after severe brain injury ; Brain injury, March 2005 ; 19(3) ; 159-163

Bivona U., D’Ippolito M. Giustini M., Vignally P., Longo E., Taggi F, Formisano R. ; Return to driving after severe traumatic brain injury : increased risk of traffic accident and personal responsibility ; Journal of head trauma rehabilitation ; May-juny 2012 ; 27(3) ; 210-215

Lundqvist A., Alinder J., Rönnberg J. ; Factors influencing driving 10 years after brain injury ; Brain injury; April 2008; 22(4); 295-304

Schanke A.K., Rike P.O., Molmen A., Osten P.E. ; Driving behavior after brain injury : a follow-up of accident rate and driving patterns 6-9 years post-injury ; Journal of rehabilitation medicine ; oct 2008 ; 40(9) ; 733-736

Classen S., Levy C., Mc Carthy D., Mann W.C., Lanford D. ; Traumatic brain injury and driving assessment : an evidence-based literature review ; American journal of occupational therapy ; sept 2009 ; 63(5) ; 580-591

Galski T., Ehle H., Mc Donald M., Mackevich J., Evaluating fitness to drive after cerebral injury : basic issues and recommendations for medical and legal communities ; Journal of head trauma rehabilitation ; Juny 2000 ; 15(3) ; 895-908

 

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