Claire Magimel est sociologue spécialisée sur les questions du handicap et de l’accessibilité. Elle-même handicapée de naissance par une pathologie neuromusculaire, elle est l’auteur d’une thèse sur l’intégration du handicap dans les politiques universitaires en Île-de-France et au Québec.
L’accessibilité, une « révolution culturelle »
Interview de Claire Magimel par Romain Desgrand journaliste.
Publiée dans la revue Handirect n°141 Janvier 2013
Claire Magimel est sociologue spécialisée sur les questions du handicap et de l’accessibilité. Elle-même handicapée de naissance par une pathologie neuromusculaire, elle est l’auteur d’une thèse sur l’intégration du handicap dans les politiques universitaires en Île-de-France et au Québec. Entretien.
En tant que sociologue, vous accordez une importance particulière au sens des mots. Quelle définition donneriez-vous au terme « accessibilité » ?
L’accessibilité est une mise à disposition de ressources permettant de compenser des incapacités. Cette notion n’est pas obligatoirement liée au handicap, à la déficience mais à l’incapacité. Prenons un exemple : une personne qui prend le métro en transportant des skis est face à une incapacité pour franchir les portillons. Elle n’a aucune déficience mais est bien en situation de handicap car il y a défaut d’accessibilité.
Vous faites donc bien une différence entre « personne handicapée » et « personne en situation de handicap » ?
Oui, il y a une vraie différence. La personne handicapée, c’est celle qui est reconnue comme telle par les institutions sociales, les MDPH (ndlr. Maisons départementales des personnes handicapées). La personne qui prend le métro avec ses skis est en situation de handicap, mais non handicapée. À l’inverse, si moi-même je donne un cours assise confortablement, je ne serais pas en situation de handicap. Par contre, je demeure une personne handicapée car je suis reconnue comme telle.
Cette distinction de termes est importante. Je ne supporte pas que l’on parle de « personne en situation de handicap » en voulant dire « personne handicapée », sous prétexte que c’est politiquement correct ! Une personne « valide » peut d’ailleurs se trouver en situation de handicap alors que dans la même situation, une personne handicapée ne le sera pas. Imaginez que vous êtes dans une ville où toutes les indications sont inscrites en caractères chinois et que vous ne connaissez pas un mot de cette langue. Vous serez sacrement en situation de handicap pour vous orienter ! Mais une personne sourde qui, elle, maîtrise le chinois, n’aura aucun mal à se repérer. Autre exemple : une coupure d’électricité survient dans une salle de concert et plonge les lieux dans le noir. Tous les spectateurs seront en situation de handicap sauf un : la personne aveugle. Pour elle, son environnement n’aura pas changé.
Par ailleurs, puisque nous sommes dans les définitions, je tiens à préciser qu’il faut bien faire la différence entre « l’accessibilité » et « la compensation ». Cette dernière est adaptée aux besoins spécifiques d’une personne. L’accessibilité est, quant à elle, une mise à disposition pour tous. La mise à disposition de fauteuils roulants dans un musée par exemple, c’est de l’accessibilité. Mais le fauteuil roulant de la personne myopathe, c’est de la compensation car il est adapté aux besoins spécifiques de la personne.
Qu’est-ce que la loi de 2005 a changé ?
La loi a entraîné une prise de conscience et a permis de modifier les approches. On le constate dans les villes et les villages : il y a une prise en compte plus importante de l’accessibilité. Bien évidement, les objectifs fixés pour 2015 ne seront pas respectés. Mais, l’aspect fondamental de la loi de 2005 est l’incitation à une révolution culturelle. Il est clair qu’elle ne pouvait pas se faire en dix ans. Les législateurs en étaient d’ailleurs conscients dès le départ mais il fallait bien fixer une échéance, sinon le processus de changement ne se serait jamais mis en route et c’est d’ailleurs ce qui s'est passé avec certains articles de la loi de 1975 qui ne fixaient aucune date butoir.
Qu’entendez-vous exactement par « révolution culturelle » ?
Cette expression a été utilisée par Patrick Gohet, l’un des maîtres d’œuvre de la loi. Pour lui, il s’agit d’une révolution culturelle car elle oblige chaque citoyen à s’interroger sur sa propre représentation du handicap et à se demander si sa pratique quotidienne n'engendre pas des situations de discrimination. On parle de révolution culturelle, intellectuelle, car la loi amène à considérer les personnes handicapées comme des citoyens comme les autres. Nous n’avions pas cette vision avant 2005. La loi de 1975 était une loi spécifique pour les personnes handicapées, plutôt marquée par la mise en place d'une prise en charge médico-sociale à leur intention. C’était à elles de prouver qu’elles avaient les capacités pour vivre dans le monde des « valides ». C’était à elles de s’adapter. Aujourd’hui, c’est à la société de s’ajuster aux spécificités de chacun de ses membres.
Le gouvernement envisage de fixer des objectifs d’accessibilité intermédiaires pour 2015. Qu’en pensez-vous ?
Nous n’avons pas vraiment le choix car les objectifs actuels ne seront pas respectés. Par contre, il faut être attentif à ne pas instaurer de dérogations définitives, mais bien une échéance transitoire. Je suis à la fois consciente de l’attente des personnes handicapées et des difficultés de réalisation sur le terrain. Pour moi, l’accessibilité ce n’est pas uniquement des normes à appliquer. C’est d’abord une question d’usage. Même si un lieu n’est pas aux normes mais qu’il est utilisable par tous quelques soient les capacités de chacun, c’est déjà une réussite. Il faut se demander : est-ce que la personne qui a des incapacités va trouver sur ce lieu les ressources lui permettant de mener l’activité pour laquelle elle est venue ?
Il y a quelques mois, une communauté de communes a tenté une dérogation concernant des arrêts de bus situés sur un chemin de campagne et uniquement fréquentés par quelques scolaires. Elle estimait la mise en accessibilité beaucoup trop coûteuse, inutile et illogique, le chemin étant lui-même inaccessible. La loi n’est-elle pas trop rigide ?
Non. Il ne faut pas oublier que l’accessibilité ne concerne pas uniquement le fauteuil roulant mais toutes les roues ! Les mamans avec des poussettes ont des incapacités similaires à celles des personnes qui se déplacent en fauteuil roulant et apprécieront aussi ces aménagements. L’accessibilité ne doit pas être question d’effectifs ou de moyens, c’est une question de manière de penser et de respect de chacun.
Cependant, l’un des freins reste le coût des travaux, surtout en période de restriction budgétaire…
Si nous agissons en passant « Nous ne mettons pas en accessibilité car cela concerne un nombre réduit de personnes » ou « parce que nous n’avons pas les moyens », nous allons à l’encontre même de l’esprit d’inclusion de la loi de 2005. Il faut changer les mentalités, les faire évoluer. Et ça prend plus de dix ans !
Justement, quelle est la meilleure recette pour faire avancer les mentalités ?
Sensibiliser, informer et mettre en situation. Si vous mettez un maire dans un fauteuil roulant pour qu’il fasse le tour de sa ville, il va très vite se rendre compte de la réalité. Il va avoir un choc culturel.
Vous avez fait une thèse en 2004 sur l’accessibilité des universités en Île-de-France et au Québec. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’accessibilité des universités françaises ? Sommes-nous en retard par rapport au Québec ?
Ce qui est amusant, c’est que les deux systèmes s’envient l’un et l’autre. L’herbe est toujours plus verte chez le voisin ! On a l’impression que l’accessibilité architecturale est davantage prise en compte au Québec. Par contre, l’inclusion du handicap dans le fonctionnement de l’université est identique. En parallèle, les Québécois admirent le statut social qu’offre la France où lorsque l’on est reconnue personne handicapée, c’est pour tous les domaines de la vie.
Le nombre d’étudiants handicapés en France reste faible…
Il reste faible mais augmente chaque année. Il faut être très prudent avec les chiffres diffusés. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 12 000 étudiants handicapés recensés dans l’enseignement supérieur mais il s’agit que des étudiants qui se déclarent handicapés. Par ailleurs, le processus de recensement varie aussi d’un établissement à l’autre. En France, la loi de 2005 a permis de mettre en lumière la situation des universités et d'inciter celles qui ne l'avaient pas encore fait à définir une politique handicap.
La France est-elle à la traîne ?
Il faut éviter les comparaisons. Car, comme pour le Québec, les systèmes, les fonctionnements, les cultures ne sont pas les mêmes. J’ai un jour rencontré un Danois qui se plaignait que l’on valorise constamment la politique handicap de son pays alors qu’il doit également faire face à des difficultés et que sur certains sujets, ils estiment que la France est plus avancée que le Danemark.
Un message ?
Il est parfois difficile d’aller au-delà de nos préjugés, de nos représentations. Nous avons tous peur de l’inconnu. Mais nous avons tous aussi des capacités et des compétences différentes. Il faut permettre à chacun de les exprimer.
Propos recueillis par Romain Desgrand
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