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Suzanne AUBERT (Secrétaire Générale de l’UNAFTC) "Place et rôle des familles" (Résurgences N°42 décembre 2010)


Limitation ou arrêt des traitements des patients

Cérébro-lésés graves :

 

PLACE ET ROLE DES FAMILLES

Suzanne AUBERT

Secrétaire Générale de l’UNAFTC

Le texte de Suzanne Aubert, secrétaire générale de l'UNAFTC, présenté ici a été prononcé à St Étienne, Le 1er octobre 2010. Lors du colloque, organisé par France Traumatisme Crânien, sur le thème de « La prise en charge des patients cérébro-lésés graves. Limitation ou arrêt des traitements » elle était chargée d'évoquer la place des familles face à ce problème.

Pour introduire la voix des familles dans cette journée « éthique » il faut d'abord rappeler brièvement les liens qui unissent France Traumatisme Crânien et l'Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés Crâniens et Cérébro-lésés.

En mars 2006, l'UNAFTC atteint sa 20ème année. C'est cet événement que France Traumatisme Crânien et l'UNAFTC choisissent pour renforcer leurs liens déjà existants. Les professionnels du traumatisme crânien et les familles de traumatisés crâniens et cérébro-lésés signent une charte de partenariat par laquelle les deux associations, France Traumatisme Crânien et UNAFTC s'engagent à travailler ensemble sur tous les aspects de cette pathologie.

Lors de la 21ème Assemblée Générale à Lyon, en 2007, l'UNAFTC proposait une réflexion sur l'accompagnement des personnes en état végétatif chronique et pauci-relationnel sous le titre « Les traumatisés crâniens et cérébro-lésés aux frontières de la vie ». On se souvient encore des débats chargés d'émotion qu'a suscités l'échange entre les intervenants à la tribune et les participants dans la salle. C'est alors que dans la droite ligne des accords qui ont été conclus un an auparavant, Jean Barucq, Président de l'UNAFTC, le Dr François Tasseau, Vice-président de France Traumatisme Crânien, le Dr Emmanuel Chevrillon, alors secrétaire général de France Traumatisme Crânien constituent le premier groupe de travail commun des deux associations : le groupe « Ethique ». D'autres personnalités ont enrichi le groupe : pour France Traumatisme Crânien, le Dr Xavier Debelleix, le Dr Catherine Kiefer, le Dr Françoise Laloua, Mme Hélène Oppenheim, Mme Nelly Montrobert, assistante sociale, et pour l'UNAFTC, Émeric Guillermou.

Les problèmes de santé de Jean Barucq l'ayant empêché d'être assidu aux réunions de travail de ce groupe, c'est moi qui, mandatée par le conseil d'administration de l'UNAFTC pour représenter notre association au sein du conseil d'administration de France Traumatisme Crânien, ai naturellement mais humblement occupé la place vacante. C'est le mot « occupé » qui convient, car j'ai surtout beaucoup écouté. La constitution du groupe était telle que j'étais de l'autre côté du mur, celui de l'ombre pour nous, les familles, celui où, habituellement, les familles et les professionnels ne se retrouvent pas ensemble.

APRÈS LES TÉMOIGNAGES, les échanges d'expériences, les doutes, les certitudes, les interrogations qui ont nourri la réflexion du groupe, la participation à l'évaluation de la loi de 2005, le colloque d'aujourd'hui introduit un ultime questionnement : faut-il limiter ou arrêter les traitements des personnes cérébro-lésées graves ?

L'UNAFTC, au nom des familles, peut-elle apporter ici un point de vue unanime à ce troublant questionnement ? L'UNAFTC peut-elle dire la place que doit prendre, que peut prendre l'entourage ?

Ce questionnement apparaît troublant en effet ! Dans l'esprit de tout un chacun, le rôle du médecin n'est-il pas de prodiguer les meilleurs soins, de trouver et d'administrer les meilleurs traitements au malade pour le guérir, lui sauver la vie ? Dans la terrible réalité que nous évoquons, le blessé est inconscient : c'est sa famille, ses proches qui sont confrontés à l'interrogation. Impossible exercice que de rassembler en quelques phrases la diversité infinie du vécu des familles. Chaque famille est une histoire unique dans laquelle, depuis sa naissance (voire sa fécondation) le blessé, sujet unique lui aussi, s'est construit, et sa destruction par les aléas de l'existence n'est pas concevable.

N'y a-t-il plus rien à faire ? Cette question commune à toutes les familles varie à l'infini dans sa formulation et sa compréhension ; qui pourtant, elle se décline le plus souvent en deux autres questions Pourquoi ? Comment ?

Rares sont les familles qui disent avoir envisagé de soumettre cette question au médecin ou à l'équipe médicale. Elles espèrent, c'est tout, et si la mort a pu être un moment acceptée, c'est dans le tourbillon de l'urgence, dans la précipitation des événements qui s'enchaînent sur le moment et dans les jours qui suivent l'accident.

L'histoire qui suit en témoigne.

Voici ce que disent les parents d'un enfant heurté à l'âge de 14 ans par un automobiliste alors qu'il était sur son vélo :

 

« Avec un recul de 8 ans et un fils en état pauci-relationnel actuellement âgé de 22 ans, cette question est au cœur de nos préoccupations. Nous pensons que la question de la pertinence des soins se pose de façon cruciale à la phase aiguë, au décours immédiat de l'accident, avant même l'admission en réanimation, en fonction du bilan lésionnel.

Mon épouse et moi avions, à ce stade, des positions différentes. Je voulais que tout soit fait pour que mon fils ne meure pas. Elle voulait qu'on ne fasse pas survivre son fils à tout prix, surtout si la perspective de lourdes séquelles était à prévoir, et avait donné son accord, dès les urgences, pour le don d'organes. Il se trouve que notre fils a vécu : nous avons alors considéré, ensemble, que, si lui avait choisi de vivre, ce n'était pas à nous de décider si cette vie valait ou non la peine d'être vécue, mais de tout faire pour qu'elle ait du sens, pour lui comme pour nous. Il n'est pas exclu que la question se pose à nouveau un jour, par exemple à l'occasion d'une complication et d'une pathologie grave viendrait se surajouter à son état ou s'il exprimait une souffrance que l'on ne soit pas en mesure de soulager. Nous exigerions alors d'être associés à une réflexion collégiale et loyale où les médecins auraient l’humilité de nous laisser décider. Cela pourrait conduire à une décision d'arrêt des soins actifs, voire à une intervention active que nous assumerions en conscience, mais sûrement pas par un "laisser mourir", en interrompant la nutrition, comme on l'a vu faire dans d'autres pays par décision de justice, et qui nous apparaît parfaitement inhumain.

 

Au total, nous considérons que, dès lors que la vie a prévalu, elle doit être respectée et accompagnée. La vraie problématique à nos yeux aujourd'hui est plus dans la qualité de la prise en charge proposée dans beaucoup d'unités EVC/EPR (état végétatif chronique, état pauci-relationnel), que dans la question de la vie elle-même. J’ai rejoint le mouvement des familles dans le but de participer à la réflexion concernant ces états limites et les réponses apportées. »

 

GÉNÉRALEMENT, c'est d'abord d'un point de vue médical que la question se pose de limiter ou d'arrêter les traitements. Le médecin, avec son équipe, fait le constat d'une réalité thérapeutique mais peut-il objectivement apprécier les retombées sur la famille de la dégradation d'un enfant, d'un parent d'un frère, d'un conjoint, d'un être qu'on aime et qui fait la vie de toute une famille ?

Comment annoncer, expliquer cette insupportable réalité, comment faire reconnaître les limites thérapeutiques, comment faire accepter qu'il est préférable de ne plus faire, alors même que le « miracle » de la réanimation a déjà rendu la vie au blessé ? Combien de mamans rapportent presque fièrement ces propos : « le médecin m'a dit : votre fils est un miraculé ! » Alors pourquoi ne peut-il pas continuer à vivre ?

Avec les traitements, les soins, il vit, si on les arrête, il va mourir. Que reste- t- il de la vie du parent blessé ? Faut-il la préserver ? Pourquoi ? Ce pourquoi qui se fait pressant est une source de souffrance extrême.

Les familles souffrent, c'est une affirmation qui n'a pas d'exception, mais l'espoir d'une survie transcende toutes les composantes psychologiques, sociales, spirituelles ou religieuses. Pourtant nombreuses sont les familles qui déclarent avoir abordé le sujet d'une manière ou d'une autre, qui en dis- curent volontiers d'un point de vue théorique ou lorsque, le cas échéant, elles connaissent un cas qui n'est pas le leur. Mais dans les circonstances sur lesquelles nous nous interrogeons aujourd'hui, la famille ne pense qu'à sauver la vie de son membre. Dans nos associations de familles de traumatisés crâniens, on se rend compte que même si les attitudes de l'entourage peuvent être fortement marquées par la religion, l'appartenance sociale, toutes les familles sont à la recherche d'un sens à donner à ce qu'elles vivent. La place qui est laissée à la famille et le rôle qu'elle a dans cet épisode d'une haute intensité émotive peut permettre à la famille de trouver un sens à l'épreuve qu'elle traverse.

AUJOURD'HUI L'ENTOURAGE, est sollicité pour participer à la prise de décision proposée par le médecin responsable de l'équipe médicale. La place faite aux familles implique une lourde charge morale et psychologique, et pourtant la plupart des familles souhaitent l'occuper. Cette place va permettre à la famille de prendre conscience des réalités présentes et à venir, elle, va favoriser la compréhension de l'état de santé du blessé, elle va faire cheminer la famille vers une décision et l'aider à en mesurer les conséquences. Pour les proches, c'est une étape d'autant plus difficile qu'ils doivent se mettre à la place d'une personne, inconsciente mais vivante, pour décider à sa place du maintien d'une vie dégradée physiquement et psychologiquement ou d'une mort inacceptable, injuste. Cette place est donc un terrain d'anxiété, de détresse et la famille a souvent un comportement ambivalent : volonté d'en finir avec la souffrance et les soins, révolte devant un manque de soins. Et, sur ce terrain miné par le désespoir, il y a des familles qui ne peuvent pas faire face à la réalité, et qui inconsciemment refusent d'entendre les messages. La réception de l'information est altérée par la colère qui les anime, et la crainte qui les paralyse. Mais quel que soit le degré de participation de l'entourage, la concertation et l'information doivent faire partie du processus de décision.

Enfin il y a aussi l'absence totale de l'entourage : dans ce cas, la place est vide et le devenir du patient reste entre les mains de l'équipe médicale. C'est ce qu'illustre le témoignage déjà cité :

 

« Notre réflexion personnelle, vis-à-vis de l'état de notre propre fils doit être nuancée à la lumière de situations différentes que nous avons eu à connaître dans le cadre de la vie associative.

 

Toutes les familles ne sont pas unies. Il convient dans les cas de familles éclatées, de s'attacher à consulter toutes les parties, afin d'approcher au plus près ce qu'aurait pu être le choix du blessé lui-même. Il faut se garder de juger trop vite des familles peu présentes : elles ont parfois des problèmes de distance, d'argent, d'âge ou de santé. Beaucoup de familles expriment de la souffrance vis-à-vis de l'état de leur blessé très dépendant, et de l'impuissance à établir une relation de confiance avec l'équipe qui s'en occupe. Force est de constater que, dans des unités EVC/E PR que nous connaissons, les familles ne sont pas associées aux décisions, et parfois même pas tenues informées. Seules les familles « à problème », réputées exigeantes, ont droit à un entretien avec le médecin une fois par an.     

Nous avons connu aussi des familles disant à l'équipe : "en cas de problème laissez-le s'en aller" et qui, en situation, ont reproché à l'équipe de ne pas réanimer. La décision à froid doit être re-validée en situation critique car il y a une grande ambivalence des familles sur ces questions. Bref, c'est très compliqué et difficile à gérer dans l'urgence : pourtant c'est aux phases critiques que la question se pose. Il faut répondre à la question : "ce blessé doit-il aller en réa ?"

 

C'est sur des critères de gravité initiale indiscutables et fiables qu'on peut prendre unetelle décision. Par la suite, c'est sur le dialogue et la confiance avec les familles qu'elle pourra s'appuyer. En dehors de ces phases "critiques", la vie doit être respectée sans aucune concession. »

QUAND LA RELATION SOIGNA NT - FAMILLE est instaurée dans le respect des deux parties, et le temps nécessaire a été donné à la famille pour exprimer ses doutes, ses réticences, ses peurs, la famille trouve naturellement sa place, mais elle attend beaucoup de tact et d'humilité de la part de l'équipe soignante, car si elle est contrainte de passer la main à d'autres, elle entend garder le sentiment de rester le père ou la mère de son enfant, le mari ou la femme, le frère, la sœur, l'ami. Dans un climat de confiance, l'entourage peut alors exercer un rôle auprès de l'équipe soignante dans la prise de décision. En effet, les proches sont une ressource précieuse et indispensable pour les soignants, ils renseignent sur la personne cérébro-lésée, son histoire, son contexte de mais vie, ses valeurs, son environne ment social, ses souhaits en pareille circonstance quand il a pu les exprimer (attend-on d'un enfant qu'il écrive des directives anticipées ?). L'évaluation de la poursuite des soins s'en trouve facilitée. D'autre part, l'équipe soignante qui manifeste son intérêt, pour les proches et accueille avec discernement l'expression de leur désarroi, offre à la famille un appui considérable : la famille peut lui confier ses ressentis, ses attentes. En effet souvent la famille dissimule ses sentiments devant le patient et même entre ses membres, surtout comme cela arrive parfois, quand une mésentente s'installe en son sein.

Ainsi aidée, la famille va pouvoir cheminer vers la décision de limiter ou non les traitements, d'arrêter ou non les soins. Si l'équipe médicale et la famille convergent autour du constat des limites thérapeutiques, la famille a toujours sa place dans la mise en œuvre de la décision et si elle le souhaite, elle que pourra être présente aux moments critiques de la mise en œuvre et surtout au moment du décès. Pour permettre à la famille d'exercer son rôle d'accompagnant, l'équipe médicale accompagnante, elle aussi, favorisera par exemple, un aménagement de l'accueil et des horaires.

En revanche si des réticences persistent au sein de la famille, la décision doit être différée, mais sa place ne peut pas être remise en cause.

 

EN CONCLUSION, je vous livre la fin d'un écrit signé par « une famille persévérante » dont l'histoire se rapproche fortement de celle qui a été précédemment évoquée :

 

 « Chaque patient est différent, j'encourage toutes les personnes qui liront mon témoignage à ne pas baisser les bras, à garder espoir et à écouter leur cœur ».

 Et je me permets de citer une phrase qu'on attribue à un pape contemporain :

 

 « On ne peut donner la mort mais on peut accepter de ne pas l'empêcher. »

Puisse cette participation effective de la famille à l'ultime interrogation combattre les préoccupations telles que le rationnement des soins et l'obligation socio-économique de mourir !

Suzanne AUBERT

Secrétaire Générale de l’UNAFTC

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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