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Docteur Catherine Kiefer et le Docteur Béatrice Albinet- Fournot (Hôpital Nord 92) « Quand le processus d'éveil se poursuit, la personne va progressivement donner des signes de conscience d'elle-même et de son environnement. » (Résurgences n° 41 - Juin 20


Phrases en exergue : « Quand le processus d'éveil se poursuit, la personne va progressivement donner des signes de conscience d'elle-même et de son environnement. »

« Peut-on favoriser ou accélérer le retour à la conscience ? »

A la suite d'un accident ou d'une lésion cérébrale, les blessés sont souvent dans le coma. Devant cette situation, les familles sont en proie à l'inquiétude et se demandent quand et comment leur blessé pourra s'éveiller. Le Dr Catherine Kiefer et le Dr Béatrice Albinet- Fournot, MPR,[1]évoquent dans le texte qui suit  ce qui est fait pour faciliter l'éveil après un coma.

 Les procédures utilisées en rééducation

pour améliorer la reprise de la conscience après un coma

 

Docteur Catherine Kiefer et le Docteur Béatrice Albinet- Fournot

 

Introduction

Après avoir défini le coma et les états de conscience altérée, nous présenterons les techniques de « stimulation » décrites dans la littérature pour améliorer l'éveil et donnerons les conclusions de la Conférence de consensus d'octobre 2001. Enfin nous décrirons les avancées depuis cette période et les réflexions en cours.

 

Le coma et les états de conscience altérée

Des lésions cérébrales graves peuvent entraîner un coma, état qui nécessite une prise en charge en réanimation, sous sédation, pour assurer la survie de la personne, si possible traiter la cause des lésions et/ou empêcher leur aggravation. Pendant cette période, les fonctions vitales qui sont sous le contrôle cérébral (respiration, régulation cardiaque, alimentation, excrétion...) sont défaillantes et vont donc faire l'objet de suppléances techniques (respirateur, sonde gastrique, sonde urinaire...).

Dans cet état de coma (ou de sédation), la personne a les yeux fermés et n'interagit pas avec l'entourage. Dès que possible, la sédation est interrompue de façon à évaluer l'éveil. Parfois le patient ouvre rapidement les yeux (durée du coma inférieure ou égale à la durée de la sédation), parfois le coma persiste de quelques jours à plusieurs semaines.

 

En l'absence de complication, la situation va spontanément évoluer vers une phase d'éveil qui débute par l'ouverture des yeux avec, progressivement, restauration de cycles veille-sommeil. Cependant la personne demeure mutique, ses yeux sont ouverts mais le regard ne se fixe pas et ne suit pas le déplacement d'un objet ou d'un visage. Elle n'obéit pas à un ordre simple, et les seuls mouvements observés sont réflexes (ils peuvent être interprétés, à tort, comme ayant du sens, source de malentendus parfois entre les proches et l'équipe médicale). Seule une observation et un examen clinique rigoureux, répété et expliqué pourra en faire la distinction.

On appelle cet « état de veille sans conscience », l'état végétatif car seules les fonctions végétatives fonctionnent (respiration, pouls, tension artérielle, température...).

Cet état est habituellement transitoire, mais parfois il se prolonge, voire persiste à long terme ; on parle alors d'état végétatif chronique (EVC).

 

Quand le processus d'éveil se poursuit, la personne va progressivement donner des signes de conscience d'elle-même et de son environnement : il peut s'agir de réactions émotionnelles adaptées à un propos (évocation par d'un proche d'un être aimé...) ou à une situation de vie ou de soins (musique qui va apporter un bien-être ou provoquer une émotion adaptée, grognement de mécontentement lors d'un soin désagréable...). Parfois, on observe des mouvements orientés vers un but (par exemple un mouvement pour attraper la barrière lors d'un change, un mouvement de la main en réponse à une salutation...). Les situations sont multiples. Ce qui est fondamental, c'est le caractère adapté du comportement observé, ainsi que le fait qu'il se reproduise dans des situations similaires, même s'il est inconstant. On parle alors d'état pauci-relationnel (EPR) ou d'état de conscience minimale. Tout comme l'état végétatif, cet état peut se chroniciser.

 

Heureusement le plus souvent, l'amélioration se poursuit et la conscience de la personne va progressivement s'affiner et s'exprimer grâce à l'élaboration d'un code oui/non, moteur (avec les yeux ou la tête par exemple) ou verbal. Cette étape est source de grandes joies pour les proches car elle leur permet d'envisager à nouveau une « vraie relation » avec leur blessé.

Quand la communication est devenue « fonctionnelle » c'est-à-dire utilisable de façon fiable, dans la vie quotidienne, par des personnes différentes, on considère que la personne est sortie de l'état pauci-relationnel. Elle est consciente même si elle garde des déficiences parfois importantes des autres fonctions supérieures comme la mémoire, la concentration ou le comportement.

 

La question que se posent familles et professionnels est la suivante : peut-on améliorer cette évolution et favoriser ou accélérer le retour à la conscience ?

Depuis la fin des années 1970, de nombreuses équipes médicales, en particulier anglo-saxonnes, ont tenté d'apporter des éléments de réponse. Se fondant sur des observations de psychologie développementale (pour qu'un enfant développe ses capacités intellectuelles en grandissant, il doit être dans un environnement stimulant) et sur des expériences animales (effet négatif de la privation sensorielle chez des rongeurs), l'idée s'est répandue parmi les professionnels, très vite relayée par les familles, que la stimulation sensorielle des patients dans le coma ou en état végétatif pourrait améliorer leur état.

Cependant il faut reconnaître que l'analogie entre l'adulte cérébro-lésé et l'enfant sain ou l'animal est difficile à soutenir. Il fallait passer cette « intuition » au crible d'études cliniques, qui ont conduit à nombreuses publications. Trois notions différentes en ressortent : la stimulation sensorielle (défendue par de nombreux auteurs), la régulation sensorielle (prônée par Wood) et une approche française fondée sur la sémiotique (E. Richer).

 

-la stimulation sensorielle : il s'agit de stimulations destinées à un ou plusieurs canaux sensoriels (audition, vue, toucher, odorat, goût...), qui sont structurées, répétées à intervalle plus ou moins codifiés, pendant des durées plus ou moins longues, par divers professionnels. Ces stimulations doivent être distinguées des stimulations non structurées de l'environnement (lumière, bruits, mouvements...d'intensité et de mode de présentation aléatoires) auxquelles elles s'ajoutent.

La stimulation sensorielle est dite dirigée quand elle a pour objectif l'obtention d'une réponse précise qui pourra être quantifiée grâce à l'utilisation d'échelles d'évaluation (voir infra).

 

-la régulation sensorielle : elle se fonde d'une part, sur une analogie avec les patients cérébro-lésés conscients dont les capacités attentionnelles sont limitées et donc rapidement saturées par l'afflux d'informations ou de stimulations variées, et d'autre part sur l'observation du milieu médical (en particulier en réanimation) qui est extrêmement riche en stimulations de toutes sortes. Wood préconise le contrôle de l'environnement et la régulation de toutes les stimulations environnementales (bruits des appareils de surveillance, allées et venues, lumière, conversations, TV...) afin d'éviter la saturation attentionnelle du patient et de favoriser l'émergence de l'éveil.

 

-L'approche fondée sur la sémiotique : l'observation et l'interprétation du « langage du corps » vise à favoriser la communication avec le patient en phase d'éveil afin de permettre une récupération de ses repères personnels et une restructuration de sa conscience de soi. Cette interaction entre patient et soignant peut être régulée à partir de l'observation du comportement : c'est ainsi qu'un besoin ou une attente de la part du patient peut être décelée.

 

La Conférence de consensus française qui s'est tenue en  2001 sur l'évaluation et les traitements des traumatisés crâniens en phase d'éveil a fait le point sur la littérature : 97 publications ont été repérées entre 1980 et 2001,  lesquelles 19 articles  ont été analysés avec une grille de lecture thérapeutique, puis classés selon leur rigueur méthodologique avec définition d'un niveau de preuve.

Les résultats de cette étude bibliographique sont les suivants : 16 articles penchaient en faveur de l'effet bénéfique de la stimulation ou de la régulation. Trois articles concluaient à l'absence d'effet. Aucune ne faisait état d'une aggravation ou d'un retard d'évolution suite à l'application de ces techniques.

Malheureusement de nombreuses faiblesses méthodologiques rendent impossible l'affirmation selon laquelle stimulation ou régulation sensorielles seraient des outils efficaces d'amélioration de la conscience.

Au contraire la Conférence de consensus française a conclu... à l'impossibilité de conclure sur ce sujet et à la nécessité de poursuivre les études !

 

Alors, qu'en est-il en 2010 ?

-Le concept de régulation sensorielle, pourtant beaucoup moins documenté que celui de stimulation sensorielle, paraît s'imposer assez naturellement aux équipes spécialisées dans la facilitation de l'éveil. Elles veillent au respect d'une alternance de phases de sollicitation et de repos pendant lesquelles les stimulations environnementales sont régulées au mieux.

 

-Dans l'environnement, on privilégie les stimuli personnalisés en demandant aux familles d'apporter des photos, de la musique, des produits d'hygiène et de beauté... ayant du sens pour la personne cérébro-lésée.

 

-Des techniques de stimulations sensorielles sont fréquemment utilisées par les équipes pluridisciplinaires des services d'éveil avec des protocoles divers, non validés, et en en reconnaissant les limites c'est-à-dire l'absence de preuve d'efficacité.

Parmi les méthodes utilisées, on peut citer la musicothérapie (en phase végétative ou pauci-relationnelle) ou l'électrostimulation du nerf médian (décrite en réanimation sur des patients comateux). Ces méthodes n'ont pas non plus prouvé leur efficacité même si les résultats publiés sont plutôt favorables.

 

-Les autres traitements spécifiques de l'éveil : médicaments psychostimulants et stimulation cérébrale profonde par électrodes font encore l'objet d'études. La Conférence de consensus de 2001 n'avait pas permis de conclure formellement à leur efficacité (même si la plupart des études allaient dans ce sens) en raison de faiblesses méthodologiques.

 

-Les traitements non spécifiques d'amélioration de l'éveil sont d'une importance capitale pour la plupart des équipes des services d'éveil. Suivant l'adage « primum non nocere », les médicaments susceptibles d'interférer avec l'éveil (antiépileptiques, antalgiques, anxiolytiques, antispastiques...) sont limités et discutés au cas par cas.

Les complications médicales (qui peuvent toutes interférer avec l'éveil) sont traitées de façon préventive et/ou curative : bilan et traitement d'une fièvre, d'une infection, d'une escarre, des déformations neuro-orthopédiques, d'une épilepsie, d'une hydrocéphalie, de troubles hormonaux etc... car la douleur et les pathologies sus-citées (entre autres) sont des facteurs d'aggravation (ou de non amélioration) de l'état d'éveil.

 

Depuis 2001, le principal progrès se situe dans le domaine de l'évaluation des états de conscience altérée, soit clinique, soit paraclinique.

-Deux échelles d'évaluation comportementale de l'éveil ont été validées en français : la WHIM (Wessex Head Injury Matrix) et la CRS-R (Coma Recovery Scale - Revised) ce qui permet d'évaluer et de suivre l'évolution des patients de façon plus fine, avec un langage commun d'une équipe à l'autre. Ces échelles sont de plus en plus fréquemment utilisées dans les services d'éveil comme dans les unités EVC-EPR qui accueillent des patients en états végétatif ou pauci-relationnel chronique.

Par ailleurs la CRS-R combine l'évaluation et la stimulation de l'éveil par l'application de stimuli sensoriels de façon à la fois standardisée (exemple : demander au patient de regarder ou de toucher un objet placé dans son champ de vision en répétant l'ordre deux fois en 10 secondes) et personnalisée (exemple : libre choix d'un objet familier).

Ces échelles ont une fonction pédagogique fondatrice dans une équipe pluridisciplinaire (partage des observations, utilisation d'un langage commun) et sont un bon outil objectif de communication entre les familles et l'équipe soignante.

 

-Les examens paracliniques d'évaluation de l'éveil se sont considérablement enrichis et affinés depuis 10 ans (potentiels évoqués, PET-Scann, IRM fonctionnelle...). Même s'ils ne permettent pas encore un diagnostic d'état ou un pronostic évolutif formels, ils sont de plus en plus utilisés, surtout en phase initiale. Cependant, la découverte de davantage d'activité cérébrale qu'on ne croyait chez certains patients en état de conscience altérée pose également de nombreuses questions sur le fonctionnement cérébral et son interprétation.

 

Conclusion

Les techniques de stimulation et de régulation sensorielles visant à améliorer la reprise de la conscience après un coma n'ont toujours pas fait la preuve de leur efficacité, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles ne sont pas efficaces. Comme elles ne semblent pas avoir d'effet délétère, elles sont souvent utilisées par les équipes accueillant des personnes en état de conscience altérée, soit en phase initiale, soit en phase de chronicité.

Toutes ces équipes insistent sur l'importance des autres moyens thérapeutiques non spécifiques, tels que la limitation des médicaments interférant avec l'éveil et la prise en charge des complications médicales.

Enfin, l'évaluation de l'éveil par des échelles (CRS-R, WHIM), validées depuis quelques années en français, constitue une réelle amélioration dans le diagnostic et la prise en charge. Ces échelles, comme le recours à des examens paracliniques, seront probablement de plus en plus largement utilisées dans les années à venir.

 

 

1.Mazaux J.M. Les traumatisés crâniens adultes en médecine physique et réadaptation : du coma à l'éveil. Conférence de consensus, Bordeaux Octobre 2001 (Texte long des recommandations du jury), Ann.Readapt.Med.Phys 2002 ; 45 (8) : 424-438.

 

2.Rigaux P., Kiefer C. : Indications, efficacité et tolérance des procédures à utiliser en rééducation pour améliorer la reprise de la conscience après un coma traumatique. Ann Réadapt Med Phys, 2003 ; 46 (5) : 219-226.

 

3.Schnackers C, Majerus S, Laureys, S. Diagnostic et évaluation des états de conscience altérée, Réanimation 2004 ; 13: 368-375.



Docteur Catherine Kiefer et le Docteur Béatrice Albinet- Fournot 

[1]Médecine Physique et de réadaptation

Service de Soins et de Réadaptation pour Traumatisés Crâniens

Hôpital Nord 92 - 75 Avenue de Verdun - 92 390 Villeneuve la Garenne

 

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