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Franck SEURET ( Journaliste) "Vivre à domicile en se préparant à l'internat" (Faire Face N°675 - mai 2009)


Vivre à domicile en se préparant à l'internat

 

Quelques parents ont fait le choix, libre ou contraint, de ne pas envoyer leur enfant, devenu grand, en établissement. Un service spécialisé vient de voir le jour à Bourg-en-Bresse (Ain) pour assister ces familles. Et à Paris, un établissement propose à ses usagers d'alterner accueil de jour et internat.

 

Émilie Lafabrie a toujours vécu chez ses parents. Banal pour un enfant valide ; beaucoup moins pour une jeune femme polyhandicapée de 21 ans. « Il n'était pas question pour nous de l'envoyer en internat, explique Anne-Marie Lafabrie. Nous voulions qu'elle grandisse entourée des siens. Et comme nous n'avons pas trouvé de structure où elle aurait pu être externe dans la région de Bourg-en-Bresse [Ain, NDLR], nous l'avons gardée à domicile. » Sa mère a donc arrêté de travailler pour s'occuper d'elle, à temps plein. Un kiné vient deux fois par semaine, elle se charge du reste, du lever au coucher. « Je lui fais sa toilette, je l'habille, je lui donne à manger mais je passe aussi beaucoup de temps avec elle. Cela n'a jamais été une "charge" pour moi. Au contraire, il y a beaucoup d'amour dans notre relation. »

Anne-Marie Lafabrie, qui est rémunérée comme aidant familial depuis qu'Émilie perçoit la prestation de compensation (PC), reconnaît cependant s'être parfois sentie un peu seule, faute d'interlocuteurs professionnels avec lesquels elle aurait pu discuter du cas de sa fille.

            Un isolement que la toute récente création par Handas d'un Service d'accompagnement médico-social pour adultes polyandicapés et grands dépendants (Samsah), à Bourg-en-Bresse, devrait permettre de rompre. Une première pour cette association qui gère des établissements pour personnes polyhandicapées. « Nous voulions répondre aux besoins des familles qui ont fait le choix de garder leur enfant, devenu grand, à la maison », explique l'adjointe de direction, Caroline Leymarie. Le Samsah, dont le coût d'intervention est intégralement financé par le Conseil général et la Caisse primaire d'assurance maladie, va donc proposer à ses 24 usagers un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire composée d'un médecin, d'un infirmier, d'un psychologue, d'un ergothérapeute, d'un psychomotricien, d'un orthophoniste et d'un kinésithérapeute. « Les parents ont déjà souvent leur kiné mais plus rarement un orthophoniste ou un psychomotricien, explique Caroline Leymarie. Nous allons donc pouvoir mettre en place une prise en charge globale, si nécessaire. » Les usagers étant bien entendu libres de continuer à faire appel aux libéraux qui les suivaient déjà auparavant. 

 

Un centre d'accueil qui tombe à pic

            Deux aides médico-psychologiques pourront également intervenir à domicile pour assurer la toilette mais aussi proposer des sorties, des activités ludiques, etc. « Nous n'avons toutefois pas vocation à assurer des missions d'auxiliaires de vie, précise Caroline Leymarie. Pour les tâches d'aide aux gestes de la vie quotidienne, nous mettrons les parents qui le souhaitent en relation avec les services d'aide à domicile. » De plus, le Samsah assurera un accueil de jour, deux jours par semaine, durant lesquels les usagers pourront déjeuner sur place et participer à différents ateliers ou bénéficier de soins, avant de retourner chez eux, le soir.

Une initiative appréciée par Anne-Marie-Lafabrie, qui envisage d'y avoir recours pour Émilie : « Cela sera un bon exercice, pour moi qui ai tendance à la surprotéger et pour elle, qui n'a pas l'habitude d'évoluer dans un autre milieu que le cadre familial ou amical. »

Pour Hélène Ecochard, l'enjeu est encore plus important. À 73 ans, elle sait qu'elle devra prochainement se résoudre à envoyer son fils, Jean-Philippe, en établissement. Il y a déjà vécu, de cinq à trente ans, avant qu'elle ne l'en retire : « Ils ne s'occupaient pas bien de lui, résume-t-elle. La création du centre d'accueil tombe à pic : cela va lui permettre de se réhabituer progressivement à la vie en collectivité, avant qu'il ne retourne en établissement. »

 

« Apprentissage progressif »

Zohra Wahabi a, elle aussi, retiré sa fille de l'établissement où elle avait été interne de six à seize ans. « La fin de son séjour a été une expérience douloureuse, pour elle comme pour moi, et j'ai promis à Widad qu'elle resterait à la maison tant que je serai vivante, explique-t-elle. Aujourd'hui, c'est moi qui assure l'essentiel de l'aide humaine dont elle a besoin [seule une auxiliaire de vie vient dix à douze heures par semaine, en plus des trois visites hebdomadaires du kiné, NDLR] mais je sais que je ne serai pas éternelle. J'espère que l'accueil de jour va nous permettre de dépasser le mauvais souvenir et l'appréhension que nous a laissés cette mauvaise expérience. Pour que Widad soit prête, le jour où elle devra y aller. »

L'association Notre-Dame-de-Joye développe une autre formule, préparatoire au placement à temps plein. À Paris, sa Maison d'accueil spécialisée propose « un apprentissage progressif à la vie en collectivité sans rupture brutale avec le milieu familial, sans limitation de durée, adaptée au cas de chacun ». 30 usagers y alternent accueil de jour et internat, à raison de deux semaines/deux semaines ou trois semaines d'externat/une semaine d'internat. C'est cette dernière solution qu'ont choisie les parents de Grégoire, 24 ans. « C'est un rythme qui me convient car la semaine où il est interne, j'en profite pour souffler et faire des choses avec mes deux autres enfants ; et qui lui convient, car il apprécie d'y aller, précise Marie-Christine Tézenas du Montcel, sa mère. En plus, cela l'habitue progressivement au cadre communautaire, dans lequel il devra vivre à temps plein lorsque nous n'aurons plus la force de nous occuper de lui. Le seul inconvénient, c'est qu'il devra probablement changer de structure puisque Notre-Dame-de-Joye n'a que huit places en internat complet. » À moins que d'ici là...

 

 

ENCADRE

14 000 personnes polyhandicapées en établissement

7 300 enfants et adolescents polyhandicapés sont accueillis par des structures médico-sociales : 89 % par des établissements où ils sont externes (59 % d'entre eux) ou internes (41 %) ; 11 % par un Service d'éducation spéciale et de soins à domicile. Le parcours type d'un enfant polyhandicapé est d'abord de vivre à domicile, suivi par un Sessad, avant de rejoindre un établissement, à partir de 5 ou 6 ans.

Environ 6 500 adultes polyhandicapés sont accueillis dans des établissements. Essentiellement dans des Maisons d'accueil spécialisées (Mas), pour 72 % d'entre eux, et dans des foyers d'accueil médicalisés (Fam) (16 %). Faute de places en nombre suffisant dans ces structures spécialisées dans la prise en charge des personnes lourdement handicapées, 12 % vivent dans des foyers de vie ou occupationnels qui hébergent théoriquement des personnes ayant conservé une certaine autonomie. Le manque de places amène également 37 % des jeunes adultes (âgés de 20 à 30 ans) vivant en établissement à être maintenus dans des centres accueillant normalement des moins de 20 ans.

95 % des adultes polyhandicapés accueillis dans un établissement sont internes, contre 41 % des enfants et adolescents. Ce qui s'explique par le fait que plus ils sont âgés, plus leur autonomie restreinte est difficile à assumer pour les parents (poids, aggravation des troubles moteurs, etc.). D'autant qu'eux aussi vieillissent... De plus, très peu d'établissements pour adultes proposent de l'accueil de jour ou de l'internat à temps partiel.

 

Source : Drees, "Les personnes polyhandicapées prises en charge par les établissements et services médico-sociaux", Études et résultats n°391, avril 2005. Les chiffres datent de fin 2001.

 

Franck Seuret

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