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Laurent LEJARD (journaliste) "Prise en charge des personnes polyhandicapées - Sortie du néant" (Faire Face N°675 mai 2009)


Prise en charge des personnes polyhandicapées

Sortie du néant

 

En 45 ans, la prise en charge des personnes polyhandicapées est passée de la bisouthérapie (sic) à une approche éducative. Une mutation élaborée, non sans mal, grâce à un dialogue permanent entre professionnels et parents. Jusqu'à une affirmation commune aujourd'hui : le droit à une pleine citoyenneté et à trouver sa place dans la société.

 

Tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes possibles en 2009 en matière de prise en charge des personnes polyhandicapées ; il manque encore trop de structures d'accueil. Mais un long chemin a été parcouru grâce à des professionnels motivés par des parents concernés. Cette relation duale s'est construite dès la reconnaissance de la part d'humanité des personnes polyhandicapées, avec une intelligence à comprendre, une communication à établir, des sentiments à identifier.

Le Dr Élisabeth Zucman, pionnière dans leur prise en charge médico-sociale, se souvient de ses débuts, en 1961, auprès d'enfants que le corps médical appelait alors encéphalopathes : « Ils mouraient jeunes. Ils étaient accueillis dans des fondations privées ou devaient être abandonnés à l'aide sociale à l'Enfance(1) pour être accueillis dans des hôpitaux publics, parce que la Sécurité sociale refusait les prises en charge. » Jusqu'à ce que les parents se révoltent face à ce déni d'humanité.

 

Vers un accueil dans le secteur médico-social

L'année 1964 marque une rupture dans le traitement "médical" de l'encéphalopathe « souvent qualifié de grabataire, végétatif et parfois de légume : on n'avait rien à en faire, puisqu'il n'y avait rien à lui faire... »(2). Associée à de fortes personnalités du monde associatif et médical(3), Élisabeth Zucman crée le Comité d'éducation et soins aux arriérés profonds (Cesap)(4). Rapidement, les premiers services spécialisés sont développés en milieu hospitalier, chapeautés dès l'origine par un comité scientifique et technique qui dirige des actions de recherche. Dès 1965, l'aide éducative à domicile, préfiguration des actuels Sessad (Services d'éducation spéciale et de soins à domicile), est constituée, suivie d'un accueil relais pour soulager des familles qui pouvaient confier enfants ou jeunes polyhandicapés à des assistantes maternelles sélectionnées, tout en gardant le contact. Et les premières colonies de vacances sont alors aussi organisées pour ces jeunes enfin sortis d'entre les murs.

Les parents ont suivi. En 1968, selon l'exemple d'une famille qui, aux USA, avait décidé de prendre en charge leur fille polyhandicapée en suscitant une structure adaptée, cinq familles françaises se sont regroupées en association, Les amis de Karen. Celle-ci a créé un établissement spécialisé puis, en partenariat avec l'organisation Notre-Dame-de-Joye, le Centre de ressources multihandicap Le Fontainier (Paris). « Les parents ont montré que l'on pouvait agir sur l'inconfort des enfants polyhandicapés, se souvient le Dr Finn-Alain Svendsen, actuel directeur médical du Cesap. Cela a ouvert sur la fin de la mort en famille, l'allongement de l'espérance de vie des enfants, leur accueil dans des institutions médico-sociales. »

 

Adultes délaissés

Là, ils ont bénéficié d'une nette amélioration de leurs conditions de vie, quittant l'état grabataire pour la position assise, accompagnés par des soins médicaux et un soutien psychosocial actif qui a permis à beaucoup d'entre eux de passer l'âge de 20 ans, posant ainsi un nouveau problème : si les enfants étaient correctement pris en charge, les adultes ne l'étaient pas du tout, les lieux de vie pour adultes handicapés s'avérant inadaptés aux polyhandicapés. Seules perspectives : le retour dans la famille ou le placement en hôpital psychiatrique.

Contre ce délaissement, alors que les Maisons d'accueil spécialisée acceptant des adultes polyhandicapés étaient rares, une disposition législative a apporté en 1989 une solution palliative : l'amendement Creton, toujours en vigueur 20 ans après. Il oblige l'établissement d'accueil à garder un jeune tant qu'une solution d'accueil n'a pas été validée par ses parents. « Il y avait dans l'établissement 11 adultes bénéficiant de l'amendement Creton en 2007, 10 sont sortis depuis, précise Chantal Jouglar, directrice de l'Institut médico-pédagogique Les amis de Laurence (Paris). Actuellement, il n'y en a plus, la situation s'est améliorée, mais elle pourrait à nouveau stagner. Il faudrait presque autant de structures pour adultes que pour enfants. »

 

 « On les prend pour moins intelligentes qu'elles ne sont. »

Une situation dont les pouvoirs publics ont enfin pris conscience, en projetant la création de 2 600 places en Mas et Fam (Foyers d'accueil médicalisé) dans les prochaines années, ce qui devrait couvrir une grande partie des besoins. Mais cet effort ne sera pas suffisant pour mettre fin aux placements actuels en Belgique, une solution palliative qui trouve une de ses origines dans la qualité de la prise en charge médico-sociale réalisée dans des établissements spécialisés de Wallonie(5). « Ce sont les Belges qui nous ont appris qu'il fallait faire un partenariat avec les parents, que les professionnels avaient à apprendre d'eux, que l'on pouvait avoir une démarche éducative et, peut-être bientôt, pédagogique, rappelle le Docteur Svendsen. Les polyhandicapés sont capables d'exprimer leur avis, et d'apprendre. »

Une expérience d'ailleurs vécue par Élisabeth Zucman, quand une maman lui a raconté la journée de son enfant : elle avait élaboré une communication reposant sur des questions retraçant le quotidien, auxquelles l'enfant répondait par un signe pour dire oui. « J'ai changé mon regard sur les personnes polyhandicapées, explique le Dr Zucman. À partir de constats, en Institut médico-éducatif et Maison d'accueil spécialisée, sur des cas très graves, sans langage. On a fait des petits bouts de test, on sortait avec un an d'âge mental ! On a mis ces jeunes devant un ordinateur avec des logiciels spécialisés, ils ont appris à lire et écrire en alternatif. J'ai aussi fait de l'éducation pour la santé auprès de polyhandicapés en établissement, que l'équipe soignante reprenait durant la semaine. Et en revoyant les personnes, elles répondaient en mode non verbal, et exprimaient leurs problèmes physiques, puis prenaient mieux soin d'elles, ingéraient plus facilement leurs médicaments. Ça m'a fait réfléchir : l'apparence fait qu'on les prend pour moins intelligentes qu'elles ne sont. »

De la « connaissance sensible » à la socialisation

Élisabeth Zucman évoque une connaissance sensible qui fait déchiffrer ce qui se passe entre ses proches, ses parents : « Elle est présente chez tout le monde, avant l'intelligence logique. Il n'y a pas d'état végétatif. Mais pour en percevoir l'expression, il faut avoir une finesse de déchiffrage. C'est cette intelligence que je veux faire reconnaître : elle est à double tranchant parce que la plupart resteront dans cette intelligence sensible, ce qui nous oblige à décrypter ce que les personnes expriment. »

Et alors apparaît la socialisation. « Nous mettons en place une vie sociale dès le petit déjeuner pris en commun, explique Claude Jacquard, directeur de la maison d'accueil spécialisée La clé des champs à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Il y a une dynamique, avec des activités quotidiennes qui ont un sens et qui donnent envie de se lever le matin. »

Claude Jacquard constate que si ce travail permanent n'est plus fait, il y a une perte rapide des acquis, un enfermement sur soi. Ce qui pose un problème aux parents voulant garder le contact et une relation privilégiée avec leur enfant : « Nous ne faisons pas les mêmes choses que les parents, poursuit-il. L'externat fonctionne bien, tout en préparant l'avenir : l'internat. Il faut ouvrir l'établissement d'adultes aux parents. Ils sont les bienvenus, et partenaires de l'équipe, on a besoin d'eux. Nous organisons des fêtes avec eux dans l'établissement, ils participent au conseil de la vie sociale. Nous rédigeons une gazette à l'attention des résidents avec des pensionnaires qui ne sont pas polyhandicapés et qui écrivent. Et nous aidons d'autres à écrire. Les parents demandent que leurs enfants soient éduqués. Ils font beaucoup avancer les choses et veulent que leurs enfants fassent partie de la société. » Les professionnels aussi...

 

 

L'évolution des soins

Progressivement, l'approche médicale a dépassé les simples soins curatifs des séquelles, pour s'intéresser à la prévention de l'aggravation et au confort de vie. Par exemple, des traitements agissent sur les séquelles douloureuses : injection locale de toxine botulique pour aider à supporter un appareillage et réduire la spasticité ou les douleurs ligamentaires.

Depuis quelques années, par ailleurs, les soins dentaires ont été adaptés par des professionnels regroupés en réseaux régionaux (Rhône-Alpes, Auvergne, Alsace, Nord...). Formés à l'accueil de personnes lourdement handicapées, des praticiens assurent prévention et soins curatifs en cabinet ou sous anesthésie générale en milieu hospitalier. « Ces soins portent sur un confort de la bouche, une prévention des affections et des caries, explique le docteur en médecine physique et de réadaptation Antoine Gastal, de l'Hôpital national de Saint-Maurice (Val-de-Marne). Il y a un peu d'aspect esthétique mais il faut surtout une très bonne hygiène dentaire. » En effet, la moindre douleur dentaire a un impact important sur des personnes qui ne peuvent l'exprimer : repli, enfermement, aggravation des troubles de la déglutition.

En revanche, si l'appareillage est parfois utilisé, et des prothèses posées, le Dr Antoine Gastal constate que l'on n'en est pas encore à faire de l'orthodontie.

 

Encadré

Un péril financier

Si l'état sanitaire des personnes polyhandicapées a considérablement évolué en 45 ans, un nouveau défi vient d'apparaître : la T2A, comprenez la tarification à l'activité. Les soins assurés en milieu hospitalier ne sont plus facturés en prix de journée, mais acte par acte. « Une infiltration dure 5 min et pouvait être facturée au prix de journée, à 400 €, précise le Dr Antoine Gastal. Pour une personne polyhandicapée, elle occupe jusqu'à trois personnes pendant plus d'une heure pour rassurer, expliquer, réaliser. En prix de journée, on s'en sortait, aujourd'hui c'est peanuts ! Moi, je dirige un service(6) qui coûte énormément d'argent et n'en rapporte pas. La T2A nous met à genoux, mais de tout temps s'occuper d'une personne polyhandicapée était délicat. »

Lors de la création de cette nouvelle tarification, le ministère de la Santé devait adjoindre des dispositions particulières pour la prise en charge des personnes dépendantes, mais rien n'a encore été élaboré.

 

Encadré

L'État reconnaît enfin les adultes polyhandicapés

Si les moins de 20 ans bénéficient d'une prise en charge légale, l'accueil des adultes polyhandicapés s'est développé dans un flou réglementaire qui trouve son origine dans une lacune législative réparée in extremis par la loi du 11 février 2005 : elle a donné un statut aux adultes polyhandicapés, et le décret qui le met en œuvre a été publié le 27 mars dernier, avec 11 mois de retard sur son annonce « dans les jours qui viennent » par la secrétaire d'État à la Solidarité, Valérie Létard(7). Un texte qui satisfait Henri Faivre, président du Clapeha(8) qui a opiniâtrement suivi sa genèse : « Avec le changement de gouvernement de 2007, il a fallu reprendre la pression associative. Le texte a une vocation plus large que le polyhandicap, et concerne les personnes en grave déficit d'autonomie. Il reprend nos propositions en matière de constitution d'équipes pluridisciplinaires, ainsi que les actions qualitatives proposées par le Conseil de l'Europe. »

Le décret précise que les établissements d'accueil pour adultes polyhandicapés doivent notamment favoriser la relation aux autres, l'expression des choix et consentements, la participation à une vie sociale, culturelle et sportive, développer les potentialités, veiller au développement de la vie affective et au maintien du lien avec famille ou proches, garantir l'intimité en préservant un espace de vie privatif.

 

 

À noter dans vos agendas

Le prochain congrès Polyhandicap de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris se déroulera les 26 et 27 novembre 2009 à la Maison de la Mutualité (24, rue Saint-Victor, Paris 5e), sur le thème du parcours de soins à l'aune de la loi Hôpital, patients, santé, territoire et de la création du 5e risque. Renseignements et inscriptions : Espace Événementiel (http://www.meimon-nisenbaum.avocat.fr/admin/tiny_mce/plugins/paste/www.espace-evenementiel.com rubrique "Événements") - Tél. : 01 42 71 34 02.

 

Laurent Lejard

 

(1) Appellation officielle de l'Assistance publique.

(2) In Auprès de la personne handicapée, d'Élisabeth Zucman, Vuibert, 2007.

(3) Andrée Barrère, de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Monique Demerson, secrétaire générale de l'Unapei, Professeur Stéphane Thieffry, neuropédiatre à l'hôpital Necker Enfants malades, Docteur Stanislas Tomkiewicz, responsable du service accueillant les encéphalopathes à l'hôpital de La Roche-Guyon.

(4) Devenu depuis Comité d'éducation et soins auprès des polyhandicapés.

(5) Lire l'enquête "La Belgique, par choix ou faute de mieux", Faire Face, numéro 674, avril 2008, pages 22 à 25.

(6) Consultation évaluation conseil pour IMC-Imoc-Polyhandicapés adultes (Cecoia).

(7) En réponse à une question orale du député Jean-François Chossy le 30 avril 2008 à l'Assemblée nationale.

(8) Comité de liaison et d'actions des parents d'enfants et d'adultes atteints de handicaps associés.

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