Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau et l'Amiral (E.R) Jean Picart, ancien Président de l'Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés Crâniens (U.N.A.F.T.C.) ont collaboré pour s'opposer au livre blanc des assureurs qui est en vérité le livre noir des victimes. Sous le prétexte d'établir une égalité de traitement entre personnes handicapées, les assureurs militent pour la disparition de la réparation intégrale du préjudice corporel.
Le livre Blanc des assureurs, Le livre noir des victimes
(Yanous.com 07/2008 - Les annonces de la seine juillet 2008)
Sous le prétexte d'établir une égalité de traitement entre personnes handicapées, les assureurs militent pour la disparition de la réparation intégrale du préjudice corporel.
Les assureurs français ont de la suite dans les idées : un an après le rejet de leur projet de barémisation voici un an, l'Association française de l'assurance publie en avril 2008, "Le livre blanc sur l'indemnisation du dommage corporel". Ambition déclarée : réformer la réparation qui doit être améliorée, les victimes déplorant la lourdeur des procédures et l'absence de transparence. Des victimes insatisfaites, en quête d'équité ? C'est aussi notre constat, mais dans un contexte différent.
Le "livre blanc" fait la part du feu : les assureurs prennent position sur quelques unes des réformes préconisées par Yvonne Lambert Faivre : définition d'une mission "officielle", d'un barème médical de référence, d'un barème de capitalisation officiel... Encore conviendra-t-il d'être extrêmement vigilant sur le choix de ces "outils".
A l'évidence, ce "livre blanc" ne défend pas les intérêts des victimes d'un dommage corporel, mais ceux des assureurs, qui s'efforcent de faire croire qu'ils sont à l'écoute des victimes et de leur "projet de vie", expression répétée à 19 reprises ! On ne doit jamais oublier que les assureurs sont des sociétés commerciales dont la vocation première est de réaliser des bénéfices. Dans ces conditions, il est difficile de concevoir que les objectifs véhiculés dans ce "livre blanc", notamment "le référentiel" et le "projet de vie", permettraient aux victimes d'être mieux indemnisées. Car à l'évidence, si les victimes obtenaient des indemnisations plus substantielles, les assureurs s'appauvriraient ! C'est la raison mécanique fondamentale pour laquelle aujourd'hui les avocats, qui sollicitent sans cesse devant les tribunaux des indemnisations cohérentes, se les voient refuser par les assureurs. Heureusement, les juges tranchent dans le respect de la loi et en conscience.
A lire les assureurs, on a tendance à se demander si la justice sert à quelque chose, car ce document nous expose d'emblée que 95 % des victimes de la circulation sont indemnisées sans procès ! Ce pourcentage n'est pas exact, et les assureurs omettent de préciser que les dommages corporels moyens et lourds sont réglés pour l'essentiel par la justice. Or, ce sont ces dommages qui coûtent le plus cher. À titre d'exemple, depuis l'an 2000, les montants des indemnisations ont augmenté globalement de 6% par an, et pour le seul poste de la tierce personne cette augmentation atteint 20%. Le poste de tierce personne correspond à près de 50% des indemnisations allouées. On comprend donc que, dans l'esprit des assureurs, il faille arrêter l'hémorragie des dépenses et, par voie de conséquence, ne plus prendre en considération l'impérieuse nécessité d'une vie plus décente et sécurisée pour les victimes. Pour parvenir à leurs fins dans cette démarche arithmétique, les assureurs tentent d'enrayer la voie judiciaire qui a créé des jurisprudences permettant une meilleure reconnaissance des victimes, une bonne qualité de vie, de soins et de sécurité, et ce conformément au principe de la réparation intégrale du préjudice corporel.
Le nombre impressionnant de transactions concerne essentiellement les petits dommages corporels. Cependant, la jurisprudence dégagée par les tribunaux est capitale pour toutes les transactions, car elle sert de référence. Si cette création jurisprudentielle disparaissait, il n'existerait plus de possibilité d'une transaction équitable pour les victimes. Par ailleurs, la jurisprudence qui se dégage pour les handicaps moyens et lourds a permis de valoriser tous les petits dommages. On ne répétera jamais assez que le juge est le garant de la réparation du préjudice corporel et des indemnisations qui sont allouées aux victimes, et tout autant le garant du respect de la singularité de la situation de chaque victime.
Pour les assureurs, il faut donc trouver le moyen de neutraliser ce juge qui met à mal la sécurité financière de l'entreprise ! Une solution : harmoniser par la contrainte en mettant en place des référentiels indemnitaires. En somme, c'est le retour à une barémisation qui n'ose plus dire son nom. Et comme il ne faut pas perdre de temps, nos assureurs les ont déjà préparés et proposés à la Chancellerie...
Par ailleurs, les assureurs tentent de prendre une place importante dans l'évaluation du dommage corporel en se présentant comme partenaires du "projet de vie" des victimes, projet de vie qu'ils se croient autorisés (selon quelles compétences reconnues ?) à mettre en place. D'une manière étonnante, ils vont même jusqu'à affirmer : "Dans le cadre de la loi du 11 février 2005, les assureurs souhaitent s'impliquer dans l'élaboration du projet de vie de la victime". Ils tentent donc un rapprochement avec les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (M.D.P.H). Peut-on concevoir que les assureurs, personnes de droit privé, qui règlent une indemnité au titre d'un contrat, qui sont partie à une procédure d'indemnisation, pourraient devenir partie prenante dans des structures publiques qui sont amenées notamment à évaluer les projets de vie des personnes en situation de handicap ? Les assureurs ont-ils vocation à s'immiscer dans la vie privée des victimes ? Ainsi, le fait de payer sa dette donnerait-il des droits ? Peut-on alors sérieusement parler de procès équitable ?
Les assureurs n'ont absolument rien à voir avec le "projet de vie" de la victime d'un dommage corporel, d'autant que cette notion très floue touche à l'intimité des personnes. Une telle ingérence est intolérable et juridiquement infondée. Aussi, il faudrait selon les assureurs discuter avec la victime de son projet de vie pour mieux appréhender son droit à indemnisation. Or, dans tout procès, lorsqu'une partie est condamnée à payer une indemnisation à une autre partie, jamais on ne demande des comptes à la partie gagnante afin de connaître son projet de vie. Dès lors, pourquoi introduire cette notion pour les personnes en situation de handicap ? Faut-il donc considérer qu'elles doivent être mises sous un régime de super protection : un juge des tutelles et de surcroît un assureur ?
La tentative de mainmise sur l'indemnisation et sur la vie des victimes ne s'arrête pas là. Les assureurs ont aussi la prétention de vouloir s'occuper de leur réinsertion dans le monde du travail. En effet, on peut aussi lire dans ce "livre blanc", qu'il conviendrait "d'étudier les moyens à mettre en place pour privilégier l'insertion socioprofessionnelle des victimes de dommages corporels lourdement handicapées". Ainsi, le projet de vie concernant la réinsertion professionnelle des personnes lourdement handicapées permettrait-il en réalité de ne plus régler d'indemnisation totale au titre du préjudice professionnel, dès lors que la réinsertion serait possible... Selon quels critères ? Des personnes traumatisées crâniens graves et blessées médullaires, notamment, n'ont pas de comptes à rendre aux assureurs, et ces derniers n'ont pas à s'occuper de la "reconquête de leur dignité" ! Enfin, selon ce document, "le délai maximal entre la date de consolidation médico-légale et l'établissement du projet de vie doit être fixé réglementairement". La volonté affichée des assureurs est donc bien de retarder encore et encore l'indemnisation et de la minimiser, et ce avec le recours, semble-t-il, au pouvoir réglementaire.
Le coeur du projet est bien ailleurs. On sait, en effet, que la profession estime que l'inflation des indemnisations créerait un risque financier (ce qui n'est sans doute pas faux, l'assurance, entreprise économique, doit des comptes à ses actionnaires !). Cette inflation est imputée au juge qui, appréciant in concreto, n'est pas tenu par l'intérêt de l'assureur. Pourquoi cette inflation ? Parce que les victimes et leurs avocats savent le juge plus attentif que le régleur à l'argumentaire fondant les demandes sur la référence à la dignité, à l'atteinte identitaire. Parce que l'expert judiciaire est plus à l'écoute des souffrances que le médecin examinateur de l'assurance, parfois plus occupé à rechercher des facteurs minorants. En règle générale, les victimes ont appris à se défier des assureurs, le nombre d'avocats spécialisés croit, la jurisprudence est de plus en plus favorable aux victimes.
Ainsi, pour mieux sauvegarder les intérêts financiers des assureurs, deux principes de droit sont remis en cause dans le "livre blanc" : la liberté du juge et le principe de la réparation intégrale des préjudices. L'argument développé pour justifier cette position est le concept "d'équité", qui conduit à poser comme principe : "A préjudice égal, indemnisation égale", affirmation a priori indiscutable, mais tellement réductrice qu'elle est fausse... et utopique dès lors qu'on intègre dans le même champ d'application la solidarité nationale (Sécurité Sociale) et la mutualisation du risque "tiers responsable" (assurance automobile).
Espérons que la teneur de ce "livre blanc", qui s'adresse au premier chef aux hommes politiques, leur donnera assez de sagesse pour qu'ils n'acceptent pas de faire des économies sur les personnes en situation de handicap, au risque d'anéantir tout le travail des tribunaux, des avocats spécialisés, des associations, et de la doctrine sur la réparation intégrale du préjudice corporel...
Catherine Meimon Nisenbaum,
Avocate au Barreau,
Amiral (E.R) Jean Picart,
Ancien président de l'Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés Crâniens (U.N.A.F.T.C.), Juin 2008.