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Le préjudice moral d'une victime - une indemnisation trop rare


La victime d'un dommage corporel fait toujours état, avec raison, de son préjudice moral dans la mesure où un dommage corporel entraîne toujours une cassure plus ou moins importante dans sa vie quotidienne et sociale et brise une partie de sa personnalité et de sa qualité de vie qu'il convient de reconstituer.

Le préjudice moral d'une victime - une indemnisation trop rare 

(Yanous.com - Mnh revue n°143 février 2004)

La victime d'un dommage corporel fait toujours état, avec raison, de son préjudice moral dans la mesure où un dommage corporel entraîne toujours une cassure plus ou moins importante dans sa vie quotidienne et sociale et brise une partie de sa personnalité et de sa qualité de vie qu'il convient de reconstituer.

Mais les Tribunaux ne prennent pas en compte ce préjudice.

Le préjudice moral, d'une manière générale, est difficilement apprécié, peut-être parce que la doctrine a tendance à considérer que sa réparation est délicate puisque que d'une part, d'un point de vue éthique, on verse une somme d'argent pour compenser la souffrance morale et, que d'autre part, cette évaluation subjective est en partie arbitraire. Cependant, le préjudice moral et couramment admis par les Tribunaux lorsqu'il s'agit uniquement de la réparation des victimes indirectes ou par ricochets.

UN REFUS AU NOM D'UNE DOUBLE INDEMNISATION

Le préjudice moral des victimes par ricochets (parents, enfants, conjoint, concubin grands-parents, frères et sœurs etc.) répare aussi bien le décès d'un proche que la souffrance morale que peut constituer pour l'autre l'incapacité de la victime. A l'inverse, les Tribunaux très rarement indemnisent les victimes directes de ce chef de préjudice.

Les Tribunaux qui ont en charge la réparation des préjudices corporels subis par la victime (notamment, pour les trop nombreux accidents de la route et infractions) ne prennent pas en compte la réparation de son préjudice moral lorsqu'elle est atteinte dans son intégrité physique et psychique. Pourtant, celle qui subit une incapacité garde très présent à la mémoire le souvenir de ce qu'elle était et a conscience de ce qu'elle est devenue, ses projets de vie s'en trouvant bouleversés.

Il est certain que plus l'incapacité est importante plus le préjudice moral l'est également. Dès qu'une victime, en raison notamment d'un accident de la circulation, médical, sportif, domestique … ou d'une infraction, perd une partie de ses facultés et ne peut plus communiquer comment avant, elle éprouve souvent un sentiment profond de solitude, d'échec, de détresse, d'angoisse indescriptible parfois insurmontable.

Pour refuser l'indemnisation du préjudice moral de la victime, les régleurs des sinistres avancent que cette indemnisation est incluse dans les sommes allouées au titre des autres chefs de préjudices, comme le pretium doloris, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, sexuel, professionnel, etc., et que l'on ne peut donc indemniser deux fois le même préjudice. Les Tribunaux acceptent cette thèse et rejettent les demandes au titre du préjudice moral de la victime.

Ce raisonnement n'a que l'apparence de la vérité, en effet, le préjudice moral est un épiphénomène, un phénomène secondaire lié à un autre dont il découle. En réparant par exemple le préjudice esthétique on ne répare pas la totalité du préjudice moral lié à ce dommage.

REPARER LA PERTE DE L'IDENTITE PERDUE

À titre d'exemple, lorsqu'une victime, à la suite d'un accident, présente des cicatrices disgracieuses, elle perçoit au titre du préjudice esthétique des dommages et intérêts. Mais qu'en est-il de la souffrance morale de la victime lorsqu'elle saisit le regard des autres, regards souvent gênés ; lorsqu'elle est dans l'impossibilité partielle ou totale de se montrer en société et donc d'avoir une vie sociale. L'image qu'elle a de soi est modifiée, déformée, brisée.

Autre exemple : les dommages-intérêts alloués en réparation de la perte d'un emploi réparent le préjudice professionnel consécutif à une perte de salaire. Mais la souffrance morale d'une victime, qui continue à pourvoir par les indemnités allouées, à ses besoins et à ceux de sa famille, n'en est pas moins réelle. Elle est dévalorisée à ses yeux et souvent auprès des siens parce qu'elle est « à charge » souvent inactive et que ses ressources ne sont plus le fruit de son travail.

Le fait de percevoir une indemnisation pour compenser une perte de salaire, une perte d'autonomie dans le cadre de la tierce personne notamment, ne répare pas moralement une vie brisée.

Autre exemple : le préjudice sexuel. La perte de libido est ressenti à la fois comme une frustration mais aussi à l'égard de son partenaire comme une impuissance, une diminution de son identité.

AU DELA DU HANDICAP, NE PAS OUBLIER L'HUMAIN

On pourrait, en analysant les différentes sortes de préjudices, couramment réparés par les Tribunaux, se rendre compte qu'ils sont souvent à double volet, l'un par rapport à la victime elle-même, l'autre par rapport à ses proches, à la société, à des tiers qui engendrent une souffrance morale pour la victime distincte des autres chefs de préjudice.

Pourtant, ces chefs de préjudices n'ont pas pour vocation de réparer la dignité humaine, la personnalité, le droit à l'image, la qualité de la vie...

On doit aborder le droit de la réparation du préjudice corporel en tenant compte tout particulièrement du respect de la dignité de l'être humain et reconnaître qu'une vie brisée pour une personne handicapée doit être réparée intégralement. Et ce en tenant compte de la perte d'une partie de sa personnalité, de son image, de sa qualité de vie, de sa propre perception et de celle du monde extérieur, de sa vie sociale, et aussi de la perte de ses projets et espoirs … et ce, durant souvent toute sa vie.

Lorsque l'on aborde la réparation du dommage corporel pour les personnes gravement handicapées, comment ne pas reconnaître l'existence d'un préjudice moral tel que décrit ci-dessus, qui doit être réparé distinctement et totalement.

On met toute une vie à se construire, à se sentir et en une fraction de seconde suite à un accident notamment, tout bascule, tout se brise, et on voudrait que le préjudice moral de la victime soit écarté des débats.

On ne peut refuser l'indemnisation du préjudice moral de la victime qui est fondamental et qui constitue le seul préjudice personnel que la victime ne manque jamais de décrire et de revendiquer.

Il serait souhaitable que dans le cadre d'une indemnisation totale du préjudice corporel, que les Tribunaux après avoir examiné l'indemnisation de chaque poste de préjudice, prévoient un poste particulier pour le préjudice moral, ou à défaut, conviennent de créer un nouveau préjudice personnel : « le préjudice de la perte de la qualité de la vie » pour indemniser ce préjudice spécifique.

La reconnaissance du préjudice moral n'est pas seulement une simple revendication pécuniaire, mais c'est surtout la reconnaissance de la souffrance physique, de la dignité humaine.

Pour les personnes gravement handicapées, on ne peut pas nier l'existence d'un Préjudice moral considérable et donc de la perte de la qualité de la vie, à défaut, on ne répare pas l'intégralité de leurs préjudices.

Le Président de la République a déclaré que son septennat serait l'année du handicap, il est à espérer qu'au-delà du handicap, la société n'a pas oublié l'humain.

Me Catherine MEIMON NISENBAUM
Avocat à la Cour d'Appel de PARIS
Février 2004

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