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Réparation du préjudice sexuel : une évolution plus qu'une révolution


A l'approche du 21e siècle, les problèmes sexuels ne sont plus tabous. Cette évolution dans les esprits permettra sans aucun doute à ce que la réparation du préjudice sexuel soit reconnue à sa juste valeur.

Réparation du préjudice sexuel : une évolution plus qu'une révolution

Mnh - n°126 - 1999 - www.mnh.fr

A l'approche du 21e siècle, les problèmes sexuels ne sont plus tabous. Cette évolution dans les esprits permettra sans aucun doute à ce que la réparation du préjudice sexuel soit reconnue à sa juste valeur.

Au 19ème siècle, tout ce qui avait rapport avec le sexe était par les mœurs condamné ; le sexe était un sujet tabou. Il suffit de se rappeler du scandale soulevé par le déjeuner sur l'herbe de Manet et Napoléon III frappant de sa canne le tableau parce qu'il y avait une femme nue trônant en plein milieu de la toile. Il suffit d'évoquer le procès fait à Baudelaire pour son chef d'œuvre « Les fleurs du mal » ou encore de constater qu'en Faculté de médecine, il n'y avait pas de spécialité concernant la sexologie.

Une évolution dans cette fin de siècle

Mais à la fin de ce siècle, l'état des mœurs s'est diamétralement modifié sur ce sujet et ce qui était caché, tabou, a envahi le domaine des moeurs… les problèmes sexuels ont déferlé dans la presse, le cinéma, la télévision, tous les moyens de communication ont été submergés par le sujet.

Les tribunaux, gardiens des bonnes mœurs, sont confrontés à ce nouveau problème avec une fréquence d'autant plus importante que les accidents de la voie publique, de plus en plus nombreux, entraînent souvent, par lésions d'organes, ou par suite de traumatisme crânien, la perte de la libido, désignée souvent sous le vocable de « préjudice sexuel ».

Les tribunaux n'ont pas immédiatement consacré l'existence autonome de ce chef de préjudice.

La loi stipule, en effet, que la réparation, notamment d'un accident de la circulation, doit être intégrale. Force est alors de reconnaître un des droits essentiels de l'être humain, sa sexualité et de l'indemniser totalement.

Un préjudice à part entière

En premier lieu, lorsque l'on fait référence à un préjudice sexuel, plusieurs fonctions doivent être distinguées :

  • l'aspect morphologique concernant les organes sexuels ;
  • l'acte sexuel ;
  • la procréation naturelle qui dépend en partie de l'acte sexuel.

Ces trois aspects peuvent exister tant chez l'homme que chez la femme et être altérés partiellement ou totalement. Il est certain que le préjudice sexuel recouvre « des troubles sexuels » plus ou moins importants. Plus particulièrement, les paraplégiques ont un préjudice sexuel considérable.

Les troubles sexuels dont ces personnes handicapées sont victimes, les amènent souvent vers le célibat. En effet, leur compagne et compagnon les quitte faute de pouvoir vivre avec eux leur sexualité.

Il est certain que ce préjudice doit être réparé distinctement et dans son intégralité.

Dans un premier temps, il a été indemnisé mais sans qu'ait été dégagée son autonomie, et il a longtemps subi l'emprise de l'I.P.P (incapacité permanente partielle) et fait partie de l'incapacité permanente.

La définition de l'incapacité permanente la plus usuelle est la suivante :

  • « réduction du potentiel physique psychosensoriel ou intellectuel dont reste définitivement atteint la victime » dont l'état est consolidé : ce qui signifie que l'état de la victime ne peut plus être amélioré d'une façon appréciable.

L'inconvénient majeur pour la victime de la prise en compte du préjudice sexuel comme élément de l'I.P.P, est que les Caisses de Sécurité Sociale (appelées dans le jargon juridique tiers payeurs) exercent sur le montant de l'indemnité allouée par les Tribunaux en réparation de l'I.P.P., leur recours c'est-à-dire le droit de se faire rembourser, et par préférence à la victime, le montant de ses débours. Par ce biais, elles se font en fait rembourser des dépenses qu'elles ont exposées mais qui n'ont aucun rapport, aucun lien avec la réparation du préjudice sexuel.

Une réparation insuffisante

Dans un second temps, certains Tribunaux ont intégré le préjudice sexuel dans le préjudice d'agrément, le faisant ainsi échapper au recours des tiers payeurs.

Mais cet amalgame avait un inconvénient ; l'indemnisation du préjudice sexuel était diluée dans l'ensemble du préjudice dit d'agrément et avait ainsi tendance à se réduire comme peau de chagrin. Les sommes allouées au titre du préjudice d'agrément sont rarement supérieures en jurisprudence à 53.357,16 € (350.000 F).

Pour faire cesser cette dérive, dans un arrêt récent du 19 novembre 1998 la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation juge expressément que le préjudice sexuel est bien un préjudice personnel distinct.

Il est essentiel que les victimes sollicitent la réparation de leur préjudice sexuel distinctement de la réparation de leur préjudice d'agrément.

Mais pour autant, il ne semble pas que soit pris en compte la réalité des souffrances et conséquences engendrées par le préjudice sexuel, car les Tribunaux accordent très rarement plus de 76.224,51 € (500.000 F).

N'est ce pas très insuffisant lorsque l'on met sur l'autre plateau de la balance tout ce qui a été perdu par les victimes d'un grave préjudice sexuel ?

Sans méconnaître les progrès apportés par les Tribunaux pour dégager le préjudice sexuel comme un élément propre distinct de l'I.P.P et du préjudice d'agrément, il reste encore un chemin à faire pour une juste indemnisation de ce chef de préjudice. Les victimes doivent persister à solliciter une plus juste indemnisation.

Les décisions américaines relatives au droit à la réparation corporelle sont peut être excessives et ne correspondent pas aux normes françaises ; mais celles actuellement retenues en France pour la réparation du préjudice personnel et notamment pour le préjudice sexuel ne correspondent certainement pas à une réparation intégrale comme le préconise la loi.

Il faut donc toujours être vigilant, connaître ses valeurs et ses droits et solliciter une juste réparation de ces derniers.

Le droit à l'indemnisation ne doit pas être indemnisé au rabais.

Me Catherine MEIMON NISENBAUM
Avocat à la Cour d'Appel de PARIS
1998

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