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Des solution facilement envisageables


Catherine Meimon Nisenbaum et l'Amiral (E.R) Jean Picart, ancien président de l'U.N.A.F.T.C ont collaboré pour permettre que l'indemnisation du préjudice corporel soit nettement améliorée par des mesures simples, découlant du constat d'inventaire des lacunes du dispositif actuel.

Des solution facilement envisageables

(Yanous.com 12/2008 - Les Annonces de la Seine Janvier 2009)

Au mois d'octobre dernier, nous attirions l'attention du lecteur sur les lacunes du système actuel d'indemnisation des victimes d'accident de la circulation : la réparation de leur préjudice corporel serait nettement améliorée par des mesures simples que nous évoquons plus loin. Fait social, le problème de l'indemnisation des accidentés de la route demeure pourtant confiné aux débats de spécialistes, mais le "chantier" est ouvert. Les assureurs ont développé leur approche de la réparation, qui met en cause le contrat social et les principes fondamentaux de notre droit de la réparation du dommage corporel. Nous reviendrons sur ce point capital dans notre conclusion. Sans attendre la conclusion des travaux en cours au Ministère de la justice, qu'il convient d'accompagner, nous estimons qu'il y a urgence sur certains points. Des mesures particulières sont nécessaires. Elles sont exposées ci-après :

1. Créer des chambres spécialisées des Tribunaux et Cours d'Appel.

Sous le prétexte qu'il existe des décisions judiciaires différentes pour le montant des indemnisations du préjudice corporel, les compagnies d'assurances ont présenté des référentiels indemnitaires qui, en réalité, mettent un terme à la réparation intégrale du préjudice. Déjà en septembre 2006, il a été écrit à ce sujet : "Il n'existera pas, à l'usage, une grande différence entre ces deux notions, barème et référentiel. D'un côté, un barème qui donne à l'avance des évaluations qui s'imposent au juge; de l'autre, un référentiel qui préconise à l'avance des évaluations qui sont "indicatives", des références dont le juge peut s'inspirer pour prendre sa décision. Le référentiel, en tant qu'incitation à appliquer des références, enlève naturellement au juge sa totale liberté d'interprétation des évaluations : le juge serait mis en liberté surveillée ! On suggère donc au juge de se référer à un référentiel indicatif alors que le libre pouvoir du juge en matière d'indemnisation doit rester la règle. Ce projet de référentiel constitue une menace pour le principe fondamental de la réparation intégrale du préjudice corporel consacré par la Cour de Cassation. Avec le référentiel, on approfondit, en catimini, la "robotisation" de l'institution judiciaire avec une limitation du pouvoir du juge contraire à la Constitution". (Lire Les indemnisations menacées et Barème ou référentiel). Il est vrai que l'on constate des différences d'appréciation selon les tribunaux, car la majeure partie des juridictions n'a pas de chambres spécialisées en réparation du préjudice corporel, alors que toutes les branches principales de notre droit bénéficient de chambres spécialisées, notamment en droit de la famille, du travail, de l'immobilier... A Paris, la 19e chambre du Tribunal de Grande Instance et la 17e chambre de la Cour d'Appel ne jugent que des affaires relatives aux dommages corporels. Aussi sont-elles hautement spécialisées, créant ipso facto la jurisprudence qui permet une plus juste appréciation des droits. Il est certain que lorsque l'on plaide devant des chambres non spécialisées dans lesquelles, au cours de la même audience, le juge doit statuer sur une affaire concernant la réparation d'une personne tétraplégique, suivie d'une affaire de divorce, puis d'une affaire de bail ou d'un litige sur un brevet, l'avocat peut s'inquiéter à juste raison pour le traitement de son client, car il est peu probable que pareille chambre puisse être spécialisée en toutes ces matières. Il est dès lors facile de comprendre qu'il est indispensable que la réalité de la réparation du préjudice corporel ne puisse être établie que par des juges spécialisés, en référé et au fond. Cette matière concerne la vie des personnes, et à l'évidence, on ne peut traiter "au rabais" une affaire directement liée à la vie d'un être. Pour qu'il n'y ait plus de disparités entre les différentes juridictions, il faut donc créer des chambres spécialisées en réparation du préjudice corporel pour sauvegarder le principe fondamental de la réparation intégrale du préjudice corporel auprès de tous les Tribunaux et de toutes les Cours d'Appel.

2. Organiser la communication directe à la victime du procès-verbal de police ou de gendarmerie.

Pour étudier les droits de son client, l'avocat demande la communication du procès-verbal de police ou de gendarmerie, afin de connaître notamment les circonstances de l'accident, l'implication/responsabilité, l'identité des parties et les coordonnées des compagnies d'assurances. Curieusement, alors même que la Loi du 5 Juillet 1985, dite loi Badinter, avait pour vocation d'améliorer le sort des victimes d'accidents de la circulation, le procès-verbal n'est pas directement communicable à celles-ci. Certes, l'avocat ou la victime peut en demander la copie au parquet, mais cette démarche implique souvent un délai fort long. Ils peuvent également solliciter ladite copie auprès de l'assureur, qui l'obtient directement d'un organisme étatique appelé TRANS PV. Encore faut-il indiquer ici que dans la loi Badinter, aucune sanction n'est prévue dans l'éventualité où l'assureur refuserait de communiquer ce document. Quelle inégalité de droits ! Dans le cadre d'un accident de la circulation, comment imaginer, comprendre et admettre que, des deux parties concernées, la victime d'une part et l'assureur de l'autre, la seconde ait une priorité flagrante sur la première pour la communication du procès verbal ? Sans ce procès-verbal de police ou de gendarmerie, l'avocat ne peut pas se risquer à saisir le juge des référés pour obtenir une provision et la désignation d'un expert judiciaire. Tandis que dans l'entre-temps, l'assureur peut s'empresser de contacter la victime, de solliciter un rendez-vous avec elle, et peut-être la convaincre de ne pas avoir recours à l'avocat... qui lui permettrait bien sûr de connaître mieux ses droits. Il faudrait donc impérativement que la victime puisse obtenir en même temps que la compagnie d'assurances le procès-verbal de police ou de gendarmerie, ou tout au moins, qu'elle puisse l'obtenir de TRANS PV à première demande.

3. Réglementer les visites inopinées des assureurs dans les hôpitaux et autres lieux de soins.

Les représentants des compagnies d'assurances qui, comme dit précédemment, sont renseignés notamment par le procès-verbal de police ou de gendarmerie sur l'identité des parties, rendent souvent visite aux victimes dans les hôpitaux et les centres de rééducation, avant même que celles-ci aient pu se renseigner sur leurs droits auprès d'un avocat ou d'une association de victimes. De telles "visites" devraient être interdites, sauf bien sûr si elles ont été initiées par les victimes elles-mêmes. Pour respecter aussi le droit du malade, les visites des compagnies d'assurances ne devraient être autorisées qu'avec l'accord écrit de la famille, au sens large, et du médecin qui en a la charge.

4. Instaurer des provisions conséquentes en référé et au fond.

La provision est pour la victime un élément essentiel, car cette somme allouée va d'une part lui permettre de vivre durant toute la période du processus de réparation (amiable ou judiciaire), et d'autre part, elle constitue une reconnaissance de ses droits, source d'apaisement. Lorsqu'une victime obtient une provision faible, elle s'inquiète sur le devenir de son dossier, elle se demande souvent si elle a eu raison de saisir la justice, et de surcroît elle vit dans l'angoisse tout le long du processus de réparation. C'est pourquoi, lorsqu'un dommage corporel est moyen ou important, les provisions allouées devraient l'être en pleine considération de l'importance des dossiers, et être en conséquence élevées. En matière de dommage corporel, le juge devrait allouer à la victime des provisions conséquentes en tenant compte de ses droits présents et à venir.

5. Expertise judiciaire.

Dans les listes des experts médicaux à la disposition des différents Tribunaux et Cours, toutes les spécialités ne sont pas représentées. À titre d'exemple, les traumatisés crâniens doivent être évalués par des experts judiciaires neurologues : hélas, sur bon nombre de listes, il n'en existe qu'un... et c'est une aubaine, car il est très fréquent qu'il n'en existe pas ! Ainsi, trop souvent, les préjudices corporels des traumatisés crâniens sont-ils mal évalués, et ils sont d'emblée doublement victimes de cette regrettable réalité. Il est indispensable que sur la liste des experts judiciaires près des Procureurs de la République figurent toutes les spécialités médicales.

6 - Les formations.

Si l'on ne peut malheureusement pas empêcher un professionnel incompétent de se saisir d'un dossier, on peut néanmoins l'obliger à poursuivre des formations sensées l'améliorer. Il faudrait poursuivre les formations de manière plus accrue pour les avocats, les experts et autres professionnels, afin d'éviter les inacceptables disparités constatées dans certains dossiers.

La vision de la réparation du dommage corporel proposée par les assureurs dans le Livre Blanc d'avril 2008 est en rupture totale avec les principes fondant notre droit :

  • Principe de la liberté du juge, qu'aucun barème ni référentiel indicatif ne sauraient contraindre.
  • Principe de la réparation intégrale des préjudices, légitimé par la Constitution, la Déclaration des Droits de l'Homme, et une directive européenne.

Nous opposons à ce concept, fondé sur la maximalisation du profit financier, un tout autre concept qui, dans le cas de la réparation d'une atteinte à l'intégrité "essentielle" du corps humain, dépasse le seul aspect financier. Cette approche reprend la problématique de compensation du handicap développée par la loi du 11 février 2005. On en déduit que les vrais objectifs de la réparation sont de permettre à la victime, dans le respect de sa liberté d'en disposer, de rester acteur de sa vie.

Les victimes sont doublement victimes, d'une part d'un accident qui les a détruites, et d'autre part des mécanismes pervertis d'un processus de réparation qui demande souvent dix années, plus parfois, pour obtenir le plus souvent une indemnisation sous-évaluée ! Sept années après le dépôt du premier rapport relatif à l'expertise dans l'évaluation du dommage corporel, aucune mesure opérationnelle n'a encore été prise. Comment l'expliquer aux victimes ?

Nous demandons donc dans un premier temps la rédaction, dans les meilleurs délais, des textes nécessaires pour la mise en application des six mesures exposées plus haut. Le problème n'est ni technique, ni juridique. Il est celui de 183.000 blessés de la route chaque année, il est celui des 9.300 d'entre eux qui demeureront lourdement handicapés, il est celui des blessés qu'une politique de sécurité routière a oubliés, pour ne parler que des vies épargnées. C'est un problème éminemment politique, que seule une mission d'information parlementaire peut traiter efficacement : moyens, légitimité, autorité. Nous demandons qu'elle soit constituée avec l'objectif d'élaborer une proposition de loi rassemblant les principales mesures relevant du domaine législatif.

Catherine Meimon Nisenbaum,
Avocate au Barreau,
Amiral (ER) Jean Picart,
Président Honoraire de l'U.N.A.F.T.C,
Novembre 2008.

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