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Deux fois victimes - Maîtres Meimon Nisenbaum et Meimon André


Tel est le résultat actuel de l'application par les tribunaux des tables obsolètes du Décret du 08/08/86

Deux fois victimes 

( Yanous.com - Février 2003)

Cela mérite une explication.

En matière de réparation du préjudice corporel, le principe juridique est simple : la victime ne doit se retrouver après un jugement, ni enrichie, ni appauvrie.

L'indemnité qui lui est allouée par les tribunaux en réparation des différentes séquelles dont elle reste atteinte après l'accident est destinée à la replacer dans la même situation où elle se serait trouvée si l'accident n'avait pas eu lieu.

Un bon jugement respecte l'équation suivante :

(Etat initial – Séquelles) = (état résiduel + indemnisation)

Or, pour certains chefs de préjudice il faut prévoir des prestations répétées tout au long de la vie de la victime. Les traumatisés crâniens et les tétraplégiques sont hélas souvent de grands handicapés qui ne peuvent plus se livrer à aucun travail lucratif, ou qui ne peuvent utiliser que très partiellement leur force de travail résiduelle. Ils subissent donc un préjudice qualifié de professionnel (s'ils occupaient avant l'accident un emploi rémunéré qu'ils ont dû abandonner ou une perte de chance (s'ils se destinaient à un métier auquel en raison de leur handicap, ils ne peuvent plus prétendre).

Ces pertes se répercutent aussi sur le montant des retraites.

De même, lorsqu'un traumatisé crânien du fait de son handicap doit se faire assister d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, il faut évaluer cette charge sur toute la vie de la victime.

Pour fixer le montant de l'indemnisation, les juges déterminent le manque à gagner ou la dépense prévisible sur une année, et multiplient la somme obtenue par le taux de capitalisation figurant sur les barèmes existants.

Il convient ici de rappeler que sauf cas précis, les juges peuvent utiliser le barème qui leur semble le plus approprié.

La loi du 05/07/85 qui tend comme son intitulé l'indique à une amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation, prévoit en son article 44 que :

« dans tous les cas où une rente a été allouée soit conventionnellement soit judiciairement en réparation d'un préjudice causé par un accident, le crédirentier (c'est-à-dire la victime) peut demander au juge lorsque sa situation personnelle le justifie, que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou en partie par un capital suivant une table de conversion fixée par décret. »

En application dudit texte est paru le décret du 8/8/86 lequel comporte différentes tables de capitalisation calculées selon le sexe et la durée du service de la prestation (viagère 65 ans, 60 ans, 55 ans).

Pour chaque table, le taux de capitalisation varie en fonction de l'âge de la victime ; ce taux est d'autant plus élevé que la victime est jeune et tend à se réduire à 0 lorsqu'elle atteint la limite d'âge de la table.

Ces tables ont été arrêtées en fonction de deux paramètres :

  • le premier : la table de mortalité PM 1960-64 MKM (annexée au décret).
  • le second : sur un taux d'intérêt de 6,50 %.

Rappelons au passage que l'application de ces tables ne s'impose aux juges selon un arrêt de la Cour de Cassation du 24/11/93 que dans un cas bien précis : celui où la victime demande la conversion de la rente qui lui a été allouée en capital par décision judiciaire.

Dans tous les autres cas, la jurisprudence considère que le juge est libre de retenir le mode de capitalisation et la table qui lui paraît la plus appropriée.

Pour informer le lecteur, il convient de lui indiquer que la jurisprudence de nos tribunaux, lorsqu'elle se veut favorable aux victimes, applique les taux de capitalisation donnés par les tables du décret.

Mais il n'est pas sûr que l'application pure et simple de ces tables ne lèse pas d'une façon très importante les victimes, car les tables du décret du 08/08/86 ont été établies en fonction de deux paramètres, devenus l'un et l'autre obsolètes.

En effet, le premier paramètre, la table de mortalité retenue par le décret du 8/8/86, est dépassée.

Les progrès de la médecine tant préventive que curative ont eu pour conséquence depuis ces dix dernières années, un allongement considérable de la durée de vie.

Le Français bénéficie selon une étude démographique publiée par l'INSEE (1) chaque année, d'un trimestre supplémentaire de vie. De 1985 à 1998, l'espérance de vie en France métropolitaine s'est allongée de 3 années.

Aussi, l'application pure et simple des tables figurant au décret du 8/8/86 ne prend pas en compte 3 années de vie, partant, occulte 3 années de revenus ou de dépenses.

Pour actualiser les tables sur ce point, il faut dans un premier temps prendre en compte dans une table donnée non pas le taux indiqué en fonction de l'âge réel de la victime, mais celui d'une personne plus jeune de 3 années. C'est là la première mise à jour du décret.

Le second paramètre, le taux d'intérêt retenu par le décret (6,50 %) n'est plus d'actualité. Le taux légal est aujourd'hui de 3,87 %.

Aussi, si le juge a le souci de maintenir constant dans le temps l'importance effective des prestations allouées pour compenser la perte de revenus ou les dépenses engendrées par la nécessité de faire appel à une tierce personne, il lui faudra prendre en compte, non pas le taux d'intérêt fictif de 6,50 %, mais le taux réel de 3,87 %.

Pour y parvenir, il lui suffira de multiplier dans la proportion de 6,50 : 3,87 c'est-à-dire par 1,67 les taux de capitalisation retenus.

Ainsi, par l'actualisation de ces deux paramètres, les traumatisés crâniens seront à l'abri des contrecoups pervers et à rebours de deux phénomènes sociaux (allongement de la durée de la vie et baisse des taux d'intérêt) qui sont par ailleurs des biens en soi.

En illustrant l'exposé ci-dessus par deux exemples, il apparaîtra que la discussion est loin d'être seulement théorique.

1er Exemple : traumatisé crânien qui subit du fait de son handicap une perte de 5.000 F (762,25 €) par mois du montant de ses revenus, ou nécessitant la présence d'une tierce personne dont le coût (congés payés compris) s'élèverait à 5.000 F (762,25 €) par mois :

la perte annuelle de revenu ou la dépense nécessitée par la tierce personne s'élève annuellement à :

5.000 F (762,25 €) x 12 = 60.000 F (9146,94 €)

Pour une victime de sexe masculin âgée de 30 ans au jour de la consolidation, le taux de capitalisation donné par le barème figurant au décret du 8/8/86 est de 13,567 ce qui donne une indemnité de :

60.000 F (9146,94 €) x 13.567 = 814.020 F (124096,55 €)

Cette somme est parfois atteinte par les tribunaux mais même en ce cas, elle n'est pas suffisante et ne tient pas compte des évolutions survenues depuis Août 1986.

En actualisant les paramètres du décret du 8/8/86, cette victime peut prétendre à :

1ère rectification : âge retenu pour le calcul 27 ans (au lieu de 30). A 27 ans, le taux de capitalisation est de 13,814 ce qui donne le premier résultat suivant :

60.000 F (9146,94 €) x 13.814 = 828.840 F (126355,84 €)

2ème rectification : en actualisant en raison de la modification des taux d'intérêts (3.89 au lieu de 6.50) la somme qui revient à la victime devrait être de :

826.840 F (126050,95 €) x 1.67 = 1.380.822 F (210504,96 €)

Dans l'exemple choisi, le juge accordera 1.380.822 F (210504,96 €) au lieu de 814.020 F (124096,55 €).

2ème exemple : victime de sexe masculin âgée de 75 ans ayant les mêmes besoins que dans l'exemple précédent pour compenser sa perte de revenus ou ce qui est plus fréquent, pour s'assurer le service d'une tierce personne.

Le taux de capitalisation de la table du décret est de 4.950. Les juges lui allouent actuellement dans la meilleure des hypothèses :

60.000 F (9146,94 €) x 4.950 F (754,62 €) = 297.000 F (45277,36 €)

mais en actualisant comme dans l'exemple précédent les deux paramètres, la victime aurait droit à :

taux de capitalisation à (75-3) 72 ans 5.865 somme compensant le préjudice :

60.000 F (9146,94 €) x 5.865 x 1.67 = 569.637 F (86840,60 €)

Dans ce second exemple, le juge accorde 569.637 F (86840,60 €) au lieu de 297.000 F (45277,36 €).

Par ces deux exemples précis, il apparaît que la jurisprudence actuelle de nos tribunaux fait bénéficier l'assureur d'une réduction certaine mais occulte.

  • dans le premier cas de 62 %

1.320.822 F (201358,02 €) – 814.020 F (124096,55 €) = 506.602 F (77230,98 €) 506.602 F (77230,98 €) : 814.020 F (124096,55 €) = 0,62 %

  • dans le second cas de 0,91 %

569.637 F (86840,60 €) – 297.000 F (45277,36 €) = 272.637 F (41563,24 €) 272.637 F (41563,24 €) : 297.000 F (45277,36 €) = 0,91 %

La distorsion est importante ; elle devient intolérable au fur et à mesure que s'élève l'âge de la victime.

Aux termes de ce bref exposé, il apparaît qu'appliquer purement et simplement les tables figurant au décret du 08/08/86, c'est allouer en réalité à la victime une somme qui ne représente plus que la réparation amputée de près de 70 % de son préjudice.

Cela est fâcheux voire injuste.

Aussi, il convient aux associations d'entreprendre les démarches nécessaires auprès des Pouvoirs Publics pour obtenir une franche actualisation du barème du 08/08/86.

En l'attente de cette réforme, il est du devoir des avocats de faire prendre conscience aux tribunaux de cette nécessité et de la liberté que la Cour de Cassation leur a laissée à cet égard pour réévaluer selon les données ci-dessus leurs évaluations.

Me André MEIMON
Me Catherine MEIMON NISENBAUM
Avocats à la Cour d'Appel de PARIS
Février 2003

(1) la situation démographique en 1994 mouvement de population INSEE résultats (Roselyne KERJOSSE et Irène TAMBY)

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